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  • Rudy Goubet Bodart

Tout comme le travail de son ami Michel Foucault, celui de Gilles Deleuze est parsemé de malhonnêtetés intellectuelles aisément identifiables et démontrables.

En voici un exemple : alors que le philosophe base l'essentiel de sa critique de la psychanalyse sur sa perception de la schizophrénie, son biographe, François Dosse (auquel il est difficile de supposer la moindre mauvaise intention) dévoile à la suite d'un entretien avec Jean-Pierre Muyard que Gilles Deleuze n'a non seulement jamais vu un schizophrène (malgré ce qu'il dit en se pavanant devant ses étudiants●) mais il les évitait même, puisqu'il en avait une peur bleue●● :


● C’est évidemment très difficile de dire : Oui, vous savez la schizophrénie... de faire une espèce de tableau lyrique de la schizophrénie. Je me souviens qu’au moment de L’Anti-Œdipe, il y a une psychiatre qui était venue me voir et qui était très agressive, et qui m’a dit : « Mais un schizophrène, vous en avez déjà vu ? » J’ai trouvé que cette question était insolente, à la fois pour Guattari - qui est, lui qui travaille depuis des années dans une clinique où il est notoire que l’on voit beaucoup de schizophrènes - et même insolente pour moi, puisqu’il y a peu de gens au monde qui ne voient pas ou n’aient pas vu de schizophrènes. Alors j’avais répondu comme ça - mais on croit toujours être spirituel et on l’est jamais - j’avais répondu : « Mais jamais, jamais, je n’ai vu de schizophrène moi ! » Alors après elle avait écrit dans des journaux en disant que, on n’avait jamais vu de schizophrènes, c’était très embêtant quoi.

Gilles Deleuze — Anti-Œdipe et autres réflexions (27 Mai 1980)


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●● Les deux hommes deviennent amis et Deleuze, désireux de mieux connaître le monde des psychotiques, entreprend un dialogue suivi avec Muyard : 《 Il me dit : je parle de la psychose, de la folie, mais sans aucune connaissance de l'intérieur. En même temps, il était phobique par rapport aux fous. Il n'aurait pas pu rester une heure à La Borde. 》

[...]

Aux beaux jours, c'est Deleuze qui vient voir Guattari, mais à l'écart de la folie qu'il ne supporte pas : 《 Un jour, on dîne à Dhuizon, Félix, Arlette Donati, Gilles et moi et le téléphone sonne de La Borde, annonçant qu'un type avait foutu le feu à la chapelle du château et qu'il s'était enfui dans les bois. Gilles blêmit, moi je ne bouge pas et Félix fait appel à de l'aide pour retrouver le type. Gilles me dit pendant ce temps : 《 Comment tu peux supporter les schizos ? 》il ne pouvait pas supporter la vision des fous.

François Dosse — Gilles Deleuze, Félix Guattari : biographie croisée (2007)

La psychanalyse a-t-elle jamais été plus pertinente qu'aujourd'hui ? La psychanalyse n'est pas une philosophie, puisque son sujet n'est pas celui de la connaissance mais du signifiant. 《 Je les appelle philosophes parce qu'ils ne sont pas psychanalystes : ils croient que la parole n'a pas d'effet 》disait Jacques Lacan ; ce à quoi il convient d'ajouter sa fameuse mise en garde quant à la conne-essence : 《 La connerie est notre essence 》.


La psychanalyse n'est pas non plus une linguistique car elle ne fait pas du langage un objet scientifique duquel le sujet pourrait parler à partir d'une position d'extériorité, voire de supériorité : 《 Il n'y a pas de métalangage 》rappelait encore Jacques Lacan. La psychanalyse est plutôt une linguisterie en ce qu'elle inverse l'ordre saussurien du signifié et du signifiant pour faire du sujet non pas un signifié mais l'effet de la signifiance, c'est-à-dire du jeu entre les signifiants qui produit un perpétuel mouvement, celui-là même du désir.


C'est alors dans sa prise, son rejet et son mouvement dans et par la chaîne signifiante que le sujet aura à attraper un petit quelque chose qui ressemble à du Réel. Un apprentissage de la lecture — comme celui des Juifs avec les textes sacrés — pour sans cesse se rapprocher de l'inatteignable limite du réel de la lettre. C'est ainsi que le 《 Wo Es war soll Ich werden 》 freudien s'articule avec l'hébraïque 《 אהיה אשר אהיה 》 mais aussi avec le cartésien《 Je pense donc je suis 》, à condition d'y différencier le sujet de l'énoncé d'avec celui de l'énonciation.


L'ascése analytique consiste alors à réduire l'excès de signes pour avoir accès à la signifiance ; ce qui est antipathique au plus au point avec le discours capitaliste qui force le sujet à de multiples identifications imaginaires qui le distraient de son lot de savoir, soit l'inconscient duquel il est réellement affligé. L'indécence du bombardement médiatique est toujours invitation à choisir un camp, à choisir l'un des sens, alors que la psychanalyse vise, quant à elle, l'ab-sens (Φ). Ainsi en va-t-il de la tyrannie qui pousse à faire groupe à partir de l'émotion qui — comme le mot pourtant l'indique — n'est que déplacement qui coinçe le signifiant dans le signe. Aux affects des affectueux et autres affectionnés le psychanalyste préférera faire entendre l'affectation au langage, soit le primat du signifiant qui seul permet un tant soit peu de se libérer du Moi qui, comme le disait Djalâl ad-Dîn Rûmî, est un sombre et vain despote que chacun doit laisser mourir pour pouvoir se donner un peu d'R.



  • Rudy Goubet Bodart
« Le premier homme à avoir jeté une insulte plutôt qu’une pierre est le fondateur de la civilisation »


Sigmund Freud a-t-il réellement écrit cette phrase ?


Celle-ci n'apparaît pas là où elle devrait dans la traduction française des《 Études sur l'Hystérie 》ni même dans la version originale, c'est-à-dire allemande, des 《 Studien über Hysterie 》. Cependant, elle apparaît dans un texte préliminaire aux《 Études 》publié dans une revue médicale viennoise en 1893 intitulé 《 Über den psychischen Mechanismus hysterischer Phänomene 》( Sur les mécanismes psychiques du phénomène hystérique) :


《 Aber, wie ein englischer Autor geistreich bemerkte, derjenige, welcher dem Feinde statt des Pfeiles ein Schimpfwort entgegenschleuderte, war der Begründer der Civilisation, so ist das Wort der Ersatz für die That und unter Umständen der einzige Ersatz (Beichte). 》


que l'on peut traduire par :


《 Mais, comme un auteur anglais l'a, avec esprit, remarqué, l'homme qui a le premier jeté une insulte plutôt qu'une pierre à son ennemi, est le fondateur de la civilisation. Ces mots sont des substituts aux actions, et parfois même les seuls substituts (confession ). 》


Ce texte sera largement repris pour introduire les 《 Études sur l'hystérie 》, sauf que la fameuse citation n'y figure plus.

S'agit-il d'une suppression de Sigmund Freud et de Josef Breuer ? Il est curieux de constater le destin de cette phrase que Sigmund Freud et Josef Breuer auraient décidé de supprimer lors du passage de《 Sur les mécanismes psychiques du phénomène hystérique 》(1893) à 《 Études sur l'hystérie 》(1895). Quoiqu'il en soit, il semblerait bien que le père de la psychanalyse aie écrit cette si belle et vraie phrase qu'il doit au britannique John Hughlings Jackson (neurologue, 1835-1911) :


《 It has been said that he who was the first to abuse his fellow-man instead of knocking out his brains without a word, laid thereby the basis of civilisation 》


Merci à Isidore Ducan pour son aide précieuse dans mes recherches dominicales !

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