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Est-il possible de boucher le troumatisme avec les pans de sa robe de chambre ?


Ce titre s’inspire de la critique de Sigmund Freud à l’encontre des philosophes qui, selon lui, n’ont jusque là “rien fait d’autre que de boucher les trous du monde avec les pans de leur robe de chambre.”


Depuis son abandon de la neurotica, qui signe l’invention de la cure analytique, quelle place donner au traumatisme dans la théorie psychanalytique ?


Le traumatisme est-il seulement une notion psychanalytique ?


Pour répondre à cette question nous pouvons reprendre la fameuse citation de Freud au sujet des hystériques lorsqu’il affirme que celles-ci souffrent de réminiscences.


Les premiers, et peut-être les seuls d’ailleurs, à ne toujours pas avoir su lire cette phrase sont certainement les psychanalystes eux-mêmes.


Ce dont souffrent les hystériques sont des réminiscences elles-mêmes.


Autrement dit, les réminiscences, les souvenirs, la façon dont le sujet investit la trace mnésique laissée par événement est littéralement ce qui le fait souffrir.


Freud faisait donc la comparaison entre les monuments historiques qui ornent nos villes et le symptôme.


Un monument, comme un symptôme, est ce qui témoigne symboliquement d’un événement réel historique ; mais que dirait-on si aujourd’hui encore les parisiens se mettaient à pleurer à chaudes larmes à chaque passage devant l’arc-de-triomphe ?


Notre époque, loin d’avoir compris cette logique - qui est donc celle du symptôme soutenu par le fantasme - se précipite, en la présence de différents acteurs de la “santé mentale” et de la sphère médiatique, sur les différents lieux d’accidents et de drames collectifs pour y apposer un cachet que l’on pourrait qualifier de “traumatiquement correct”.


Le psychanalyste fait donc une coupure décisive entre histoire (comme temporalité linéaire) et historicité (la façon dont le sujet produit son passé en en parlant). Comme le dit Beckett : “Ce qui se passe, ce sont des mots.”


Le passé ne peut être autre qu’historicisé ; il ne saurait y avoir de passé sans l'énonciation d’un sujet.


Ainsi en analyse, le sujet ne fait pas que produire son passé, mais littéralement il le change puisqu’il y affine les mots avec lesquels il s’y rapporte.


Autrement dit, et pour ne plus prendre le sujet de la psychanalyse (divisé) pour le sujet de la philosophie (individu), c’est par le dire que parlêtre produit son passé ; exactement à la façon dont Borges affirmait qu’un grand écrivain produit ses prédécesseurs.


On peut considérer de façon classique que Kafka a été influencé par Dostoïevski ; mais n’est-on pas plus précis lorsque l’on considère que c’est seulement par son écriture que Kafka témoigne que Dostoïevski est son prédécesseur, qu’il le fait son prédécesseur ?


N’arrive-t-il pas exactement la même chose à tout lecteur de Lacan lorsqu’il retourne aux textes freudiens ?


Non seulement, c’est par sa production que Lacan fait de Freud son prédécesseur et qu’il en opère le retour, mais désormais, pour tout lecteur de Lacan l'accès à Freud est lui-même altéré.


Ceci est une façon imagée de dire que le Réel ne se trouve pas au-delà de la réalité mais que le Réel est déjà dans la dissonance de la réalité avec elle-même, la façon dont elle ne correspond jamais tout à fait à elle-même, l'écart irréductible qui s’y loge, voilà ce que Lacan nomme le troumatisme.


Alors, est-il possible de boucher le troumatisme avec les pans de sa robe de chambre ?


Cette question est avant tout adressée aux psychanalystes, qui à trop baigner dans le discours universitaire finissent par en noyer la psychanalyse avec - de la subversion à la submersion pourrait-on dire.


Le psychanalyste, comme occupant la place de l’objet a, ne va-t-il pas plutôt dans le sens du seul traumatisme qui vaille ? à savoir : l’homme naît malentendu.


  • Rudy Goubet Bodart






"Donner ce que l'on a à quelqu'un qui en veut"


N'est-ce pas là une définition plutôt précise de la charité ?


Une lecture attentive de Lacan nous indique que la charité va à l'encontre de l'amour puisqu'elle serait son envers, son inversion.


L'amour c'est donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.


Alors que l'amour est la mise en jeu et le don de sa propre incomplétude à un autre qui ne peut bien évidemment pas nous la demander, à l'inverse, la charité est le don de ce que le sujet possède à un autre qui ne demande que ça, qui en a besoin même.


L'amour est un violent appauvrissement du Moi, voire une destitution subjective, alors que la charité en est un doux enrichissement, un renforcement narcissique.


Seuls ceux qui possèdent peuvent se permettre d'être charitables.


La charité est à la limite du luxe, de l'exhibition de ce que l'on a en trop, en excès.


Il suffit de lire Marcel Mauss pour se convaincre que depuis la nuit des temps les peuples rivalisent, non seulement par la guerre, mais aussi par un jeu de don et contre-don pour se montrer les uns aux autres à quel point ils sont supérieurs (potlatch).


Ainsi la charité ne subvertit pas la réalité en cours mais concourt à sa perpétuation, soit à l'enracinement de chacun à la place qu'il occupe déjà.


On ne peut aimer véritablement une personne et être charitable envers elle, ni même être charitable envers une personne et l'aimer en même temps.


Une mère peut-elle être charitable envers son enfant ?


Lorsque nous faisons l'objet de charité, est-ce réellement agréable ? N'éprouvons-nous pas comme une sorte de honte ou de culpabilité ? Ne nous sentons-nous pas redevable ? Et au-delà de ces considérations affectives, cela ne nous empêche -t-il pas de traverser cette épreuve par nos propres moyens ?


D'ailleurs, Louis-Ferdinand Céline ne dit-il pas que les gens se vengent des services qu'on leur rend ?


Mais lorsque nous sommes aimés, en va-t-il de même ? Absolument pas. Nous nous sentons légers, libres de toute culpabilité et heureux de traverser cette épreuve bouleversante - si nous avons été au préalable assez courageux pour en relever le défi.


Et cette fois-ci, lorsque nous aimons, la réalité subjective est radicalement subvertie et le sujet est désormais méconnaissable pour lui-même et son entourage et est capable désormais d'accomplir des choses dont personne (même pas lui-même) ne le soupçonnait.

Le christianisme vacille donc nécessairement sur l'extrême pointe d'une fine crête séparant la perversion et la subversion (la charité et l'amour).


Et il semblerait que seuls l'idéalisme Allemand avec Hegel (qui est Le philosophe de l'amour) et la psychanalyse, qui en est l'héritière, possèdent les concepts pour effectuer la découpe essentielle au sein même du Christianisme.


Ce qui nous apparaît comme crucial à notre époque qui est, comme le dit Gilbert Keith Chesterton, celle des valeurs chrétiennes devenues complètement folles.


D'ailleurs Lacan ne dit-il pas lui-même que le psychanalyste "décharite" ? Mais est-ce à dire qu'il aime ?


La psychanalyse est incontestablement une pratique de l'amour ; un amour particulier que les Grecs appelaient Agapè.


Plus on est de Saints plus on rit !

  • Rudy Goubet Bodart


C'est notre hystérie qui nous pousse à lui demander :


" Mais pourquoi m'aimes-tu ? "


Nous pourrions remplacer ce "Pourquoi m'aimes-tu ?" par "Qu'est-ce qu'il y a en moi que tu aimes et qui m'est inconnaissable ?" ou encore "Comment fais-tu pour m'aimer car si j'étais à ta place je ne pourrais jamais aimer un être comme moi ?"


En aucune façon nous pouvons sentir que nous sommes aimés parce que nous le méritons, mais toujours en dépit du fait que nous ne le méritons pas, et de toutes nos faiblesses, nos défauts.


Le danger pour l'amour consiste à nous identifier à ce que nous nous imaginons que l'autre perçoit comme "aimable" en nous.


A la question "Qu'est-ce que tu aimes en moi ?", la réponse la plus précise serait peut-être :

"J'aime en toi ce je-ne-sais-quoi de plus que toi."

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