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  • Rudy Goubet Bodart

Il aura fallu que Serge Lesourd ne meurt pour que je découvre ce formidable petit texte publié en 2015 dans « Cliniques Méditerranéennes » où il développe l'idée — sept ans avant que je ne le fasse — que le genre, tel que promulgué par les Gender Studies, n'est autre qu'un des effets majeurs du discours capitaliste.

Heureux d'apprendre que je ne suis pas le seul à avoir élaboré autour de cette hypothèse et très heureux d'apprendre que je succède, en quelque sorte, à Serge Lesourd.


Voici quelques extraits avec lesquels je tombe absolument d'accord et qui présentent des idées que je développe également dans mon récent travail :


« Le discours qui constitue l’humanité ne peut donc être que celui de la plainte hystérique, du fait même de cette perte, de cette disjonction originaire, perte individuelle et non collective. C’est bien du particulier de la perte que s’inscrit l’universelle de la plainte qui témoigne de l’insatisfaction partielle de chacun (c’est-à-dire tous) pris au un par un (de manière singulière). C’est de cette confusion entre le un, au sens unaire de la différence et de l’unique, et du un, au sens unitaire du commun et du collectif, que se construisent les théories du genre, car il n’y a pas d’unité dans les gender studies. Or, cette confusion est le fruit d’un changement référentiel des discours organisateurs de la civilisation, bien connue du lecteur car elle fait débat au moins quant à sa nomination nouvelle. Il s’agit du passage de la modernité à la post (ou hyper) modernité, sous la prise de pouvoir du discours du Capitaliste comme référentiel majeur de l’organisation des échanges interhumains. Sans revenir sur ce que j’ai pu développer dans mon ouvrage Comment taire

le sujet, il est nécessaire ici d’insister sur deux des qualités particulières de ce discours organisateur du monde actuel. La première est celle qui permet de faire conjoindre le sujet à son objet, soutenant ainsi la croyance que la réalisation de la jouissance serait possible. La seconde est que c’est le sujet qui a la charge de produire les signifiants qui le désignent. Ces deux caractéristiques se retrouvent dans les genders studies. La seconde s’inscrit dans le choix individuel du genre qui dépend uniquement du sujet dans son expérience intime, c’est le sujet qui se nomme. La première n’est pas spécifique aux théories du genre mais participe de toute la société de consommation qui fait croire au sujet que la réalisation de la jouissance est possible ici et maintenant. »


[...]


« Il ne s’agit plus de se plaindre d’un empêcheur de jouir en rond que la théorie psychanalytique avait incarné dans la fonction du père comme unique jouisseur possible, ce que décrivent bien les mythes que nous avons utilisés, comme celui de Freud : Totem et tabou. L’actualité de la plainte est celle de la revendication jouissante et la protestation face à son impossible réalisation. Les névroses contemporaines sont ainsi moins des retours coupables du refoulé producteur de symptômes qui échappent au sujet que des tentatives d’agir la jouissance en son nom, ou d’être victime de l’agir jouissant de l’autre. En cela le genre, et les théories qui le soutiennent, s’inscrivent merveilleusement bien dans le cadre des névroses modernes structurées par le discours du capitaliste, qui prône une possible accession à la jouissance en oubliant que celle-ci reste divisée pour tout être humain et donc impossible à atteindre. Revendiquer le particulier du rapport au sexe comme autodétermination du sujet (hétéro, gay, lesbien, bi, transgenre, etc.) est bien une forme particulière d’en appeler à la jouissance de son propre chef, ce qui se veut révolutionnaire. »


Merci à Edouard Guidez de m'avoir fait découvrir ce texte intitulé « Le genre serait une névrose »



  • Rudy Goubet Bodart

Serge Lesourd, avec un ou deux autres professeurs que j'ai rencontrés lors de mes études, dénotait radicalement de la veule pédanterie universitaire généralisée ainsi que de l'intellectualisme pseudo-poétique lacanoïdoforme qui sévissent en psychologie et psychopathologie clinique :


il parlait vrai.


Il est souvent reconnu, avec Jean-Jacques Rassial, pour son apport original à la compréhension de la clinique avec les adolescents, mais son ouvrage qui m'a le plus marqué et influencé est « Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes libérales » où il a eu l'audace, peut-être même la folie, de faire tourner les algèbres du discours capitaliste pour produire ce qu'il nommait les parlottes.


En 2006 déjà il décrivait la société du maternel et dénonçait les parlottes écologique et technologique.


En 2022 nous ne pouvons que constater que ses intuitions furent les bonnes.


Paix à son âme



  • Rudy Goubet Bodart

Tableau de Richard Lindner « Boy With Machine » (1954)




Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés afin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés.


Karl Marx — Manifeste du parti communiste (1848)



C’est pas du tout que je vous dise que le discours capitaliste ce soit moche, c’est au contraire quelque chose de follement astucieux, hein ? De follement astucieux, mais voué à la crevaison. Enfin, c’est après tout ce qu’on a fait de plus astucieux comme discours. Ça n’en est pas moins voué à la crevaison. C’est que c’est intenable. C’est intenable … dans un truc que je pourrais vous expliquer… parce que, le discours capitaliste est là, vous le voyez … une toute petite inversion simplement entre le S1 et le $ … qui est le sujet … ça suffit à ce que ça marche comme sur des roulettes, ça ne peut pas marcher mieux, mais justement ça marche trop vite, ça se consomme, ça se consomme si bien que ça se consume.


Jacques Lacan — Le Discours Psychanalytique (1972)







 





CONSIDÉRATIONS INACTUELLES QUANT AUX ÉTUDES DE GENRE


Lorsque Karl Marx entreprit de décrire minutieusement le capitalisme, et ainsi lui donner son discours, se doutait-il que ses propos seraient toujours d'actualité, encore aujourd'hui, en 2022 ? La citation choisie met en évidence que pour subsister le capitalisme doit dissoudre, déconstruire afin de tout reconstruire. Il évolue de crise en crise, renaît toujours de ses cendres en créant de nouveaux marchés et dans le même mouvement de nouvelles formes d'exploitation. Tel est son impératif. Ainsi, il est aisé de dire qu'il n'y a rien de plus révolutionnaire, de par son éternel tournoiement, et rien de plus transgressif, de par les limites constamment franchies, que le capitalisme. À quoi Karl Marx songeait-il quand il évoquait « les rapports sociaux », « les idées antiques et vénérables », « tout ce qui avait solidité et permanence » et « tout ce qui était sacré » ? Karl Marx en donne une idée dans ce manifeste, mais aurait-il pu seulement s'imaginer, en 1848, que de nos jours, les rouages qu'il a décrits à la perfection auraient le sexe comme objet de dissolution, déconstruction et reconstruction ? Puisqu'en effet, et ce depuis le début des années 1960, et une récente intensification autour des années 2010, c'est au sexe, en tant que différence sexuelle, que le capitalisme a étendu son influence et son emprise. Sous l'impulsion des Gender Studies une tentative de dissolution de la différence sexuelle est en cours. Telle est mon hypothèse. Cette dissolution n'est pas nommée comme telle et il conviendrait plutôt, pour respecter l'esprit de ces études, de la qualifier de fluidification. Une fluidification qui noie « homme » et « femme » dans un océan de genres dont les plus connus sont « transgenre », « genderfluid », « cisgenre » ou encore « non-binaire ». Selon les différentes classifications il y aurait entre cinquante et trois cent genres. Les Gender Studies sont nées aux États-Unis dans les années 1960 et depuis fleurissent surtout, pour ne pas dire exclusivement, dans le milieu universitaire occidental. Il existe des diplômes (master, doctorat) en Gender Studies. Une de ses figures incontournables est incontestablement Judith Pamela Butler, professeur de littérature et féministe, dont la production intellectuelle est assez largement influencée, mais pas uniquement, par la French Theory : Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jacques Derrida ... Son ouvrage le plus connu est « Trouble dans le genre » (1990). Son idée principale est que le genre serait une variable fluide, susceptible de changer, d'évoluer, à un moment ou un autre de l'existence de la personne. Ainsi la professeur en appelle à une action subversive consistant à entretenir une confusion et une profusion des genres. Ce que l'universitaire californienne nomme « identité de genre » est susceptible d'être inventé, réinventé, modifié par la personne elle-même au cours de son existence. Cela pourrait définir en quelques mots son concept phare de performativité, fruit de plusieurs lectures comme celle du philosophe du langage John Langshaw Austin (acte de langage) et de l'écrivain féministe Simone de Beauvoir (on ne naît pas femme on le devient). Dans ce présent exposé je me limiterai à la sexuation mais selon Judith Pamela Butler elle-même, la performativité s'appliquerait également aux races. Il n'est pas faux de dire que les Gender Studies veulent faire de la sexuation, des sexualités et des races des classes à part entière qui, elles aussi, auraient une lutte à mener. L'idée principale défendue par les Gender Studies est que la différence sexuelle, aussi renommée binarisme, ainsi que l'hétérosexualité sont une construction socio-culturelle majeure de la civilisation patriarcale afin de conserver son hégémonie. La position patriarcale elle-même fait l'objet d'une nouvelle nomination dorénavant bien connue : homme, blanc, hétérosexuel, cisgenre, de plus de cinquante ans. En cohérence avec leurs idées, les Gender Studies affirment que ce qui a été socio-culturellement construit peut, et même devrait, être dissous et déconstruit afin de permettre l'émancipation des oppressés renommés minorités de genre.


« Une des raisons de repenser le genre serait de réaliser de plus grandes possibilités sociales et politiques de liberté, d’égalité et de justice. [...] Nous avons besoin de mobiliser maintes formes de pouvoir afin d’avoir une coalition intelligente, à base élargie et effective des minorités qui luttent pour un monde plus juste [...] Si je dépiste à certains égards que le genre ne parvient pas à se conformer à un système binaire, et cherche même à développer un vocabulaire plus complexe pour la vie marquée par le genre, c’est parce que je souhaite voir un monde moins violent et plus vivable pour les personnes au genre non conforme. Il n’est pas possible de dépasser ou de nier complètement des normes et des conventions de genre. La lutte est d’apprendre comment travailler avec elles, les transformer, mais aussi reconnaître que beaucoup de communautés sont engagées dans cette lutte pour la transformation sociale.»


Judith Pamela Butler — Repenser le genre ouvre à des nouvelles possibilités politiques — Humanité Quotidien (2014)


Une véritable guerre des sexes ou plutôt lutte des genres. Par les Gender Studies sexualité et sexuation dénotent d'une position politique comme l'atteste la production intellectuelle de Judith Pamela Buter qui fait souvent référence à Monique Wittig, philosophe et militante, pour qui, par exemple, le lesbianisme est le seul aboutissement possible d'un féminisme conséquent ainsi qu'un acte politique nécessaire et désirable pour s'extirper de la matrice hétérosexuelle (le féminisme est la théorie, le lesbianisme la pratique). Dans le même ordre d'idée, Paul Beatriz Preciado affirme que :


« L’hétérosexualité est un régime sexuel nécropolitique qui place les femmes, cis ou trans, en position de victimes, et érotise les différences de pouvoir et la violence. L’hétérosexualité est dangereuse pour les femmes [...] La reconnaissance de cette relation silencieuse entre violence et hétérosexualité exige un changement de nos objectifs politiques. Alors que le mouvement LGBT se concentre depuis 30 ans sur la légalisation du mariage pour tous, un mouvement de libération somatopolitique devrait viser aujourd'hui l'abolition du mariage hétérosexuel comme institution qui légitime cette violence. De même, la reconnaissance du fait que la plupart des abus sexuels et des violences contre les enfants ont lieu au sein de la famille hétérosexuelle devrait conduire à l'abolition de la famille comme institution de reproduction sociale, plutôt qu'à la demande de la légalisation de l'adoption pour les familles homoparentales. Nous n'avons pas besoin de nous marier. Nous n'avons pas besoin de fonder des familles patriarcales. Nous devons inventer des formes de coopération politique qui vont au-delà de la monogamie, de la filiation génétique et de la famille hétéro-patriarcale [...] À quoi ressemblerait une relation supposée hétérosexuelle, mais sans « hommes » et sans « femmes » ? Ce sont maintenant les hommes cis qui doivent initier un processus de désidentification critique par rapport à leur propre position de pouvoir dans l'hétérosexualité normative. Autrement dit, il faut dépatriarcaliser et décoloniser l'hétérosexualité. »


Paul Beatriz Preciado — L'hétérosexualité est dangereuse — Médiapart, 2020


Ou encore, lorsqu'elle est conviée à s'exprimer au sein de l'École de la Cause Freudienne où elle ne fait pas preuve de la même pondération que Judith Pamela Butler et belliqueusement questionne son auditoire :


« Mais pourquoi êtes-vous convaincus, chers amis binaires, que seuls les subalternes ont une identité ? Pourquoi êtes-vous convaincus que seuls les musulmans, les juifs, les pédés, les lesbiennes et les trans, les habitants de banlieue, les migrants et les Noirs ont une identité ? Et vous, êtes-vous les normaux, les hégémoniques, les psychanalystes blancs de la bourgeoisie, les binaires, les patriarches-coloniaux, sans identité ? Il n'y a pas d'identité plus sclérosée et plus rigide que votre identité invisible. Que votre universalité républicaine. Votre identité légère et anonyme est le privilège de la norme sexuelle, raciale et de genre.»


Paul Beatriz Preciado — Je suis un monstre qui vous parle (2019)


Les positions de Paul Beatriz Preciado ne prêtent donc à aucun malentendu et ce depuis ses premières publications :


« Affirmons-nous en tant que citoyens entiers et non plus comme utérus reproductifs. Par l’abstinence et par l’homosexualité, mais aussi par la masturbation, la sodomie, le fétichisme, la coprophagie, la zoophilie … et l’avortement. Ne laissons pas pénétrer dans nos vagins une seule goutte de sperme national catholique. »


Paul Beatriz Preciado — Déclarer la grève des utérus — Libération (2014)


Bien que la forme que prennent ses revendications soit inédite de part leur virulence il ne me semble pas tout à fait inutile de rappeler ici que l'émancipation, la libération des opprimés, réinventer un monde plus juste et égalitaire ... a toujours été un des leitmotivs principaux afin de légitimer l'extension du capitalisme et la création de nouveaux marchés. Un des exemples les plus célèbres est bien évidemment celui d'Edward Bernays, neveu d'un certain Sigmund Freud, qui a participé à la rectification d'une longue et profonde injustice ainsi qu'à la libération des femmes occidentales en en faisant les égéries de Lucky Strike donnant alors l'accès au droit fondamental pour les femmes de fumer comme les hommes. Ce qui, pour l'époque, était éminemment révolutionnaire et bien évidemment outrageusement transgressif tout en faisant le bonheur des marchands de cigarettes et des publicitaires. Cela n'est qu'un exemple du concept forgé dans les années 1970 par le sociologue et philosophe marxien Michel Clouscard de « libéral-libertaire » qui permet de saisir avec une acuité certaine la façon dont les causes sociétales (libertaires) et le marché (libéral) avancent du même pas et main dans la main. L'un ne pourrait exister sans l'autre.

La libération des femmes en leur vendant des cigarettes

Je considère alors que les Gender Studies sont un moyen idéologique commode pour permettre une nouvelle extension du capital. Je développerai ce point plus tard. Les contradicteurs et détracteurs francophones des Gender Studies traduisent ce terme en « Théorie du genre » ce qui est une mauvaise traduction qui rate l'esprit même de ce mouvement qui ne peut se permettre de produire une théorie. Les « étudiants du genre » eux-mêmes ne revendiquent aucune unification de leur élaboration en une théorie mais prônent une émergence multiple et disparate de productions. Ils se veulent aussi fluides, insaisissables, troubles, flous, voire queer, que leur objet d'étude. Il est à noter que les Queer Studies et les Gender Studies ne se recoupent ni ne se recouvrent en tous points. Je ne rentrerai pas dans les différences aussi subtiles que passionnantes entre ces deux champs mitoyens et laisse la question aux experts en la matière, toutefois, je précise que dans ce présent écrit la traduction « théorie du genre » est écartée au profit de « études de genre » ce qui permet déjà de faire un rapprochement évident avec l'enseignement lacanien et ce qu'il nommait le Discours Universitaire.


Dans l'enseignement Lacanien le Discours Universitaire est le plus proche du Discours du Maître (qui depuis l'avènement de la modernité n'est autre que le Discours Capitaliste) et est même à son service. Il consiste en l'application d'un savoir (S2) duquel l'énonciation (S1) est refoulée (S2/S1), ce qui s'appelle aussi connaissance, sur un objet (a) afin de produire une nouvelle subjectivité ($). Il est alors aisé de comprendre pourquoi Jacques Lacan appelait les universitaires, en se référant à l'objet (a) passivé de connaissances, les astudiés plutôt que les étudiants. Aurait-il parlé d'« astudiés du genre » s'il était encore vivant ? Précision importante, le Discours Universitaire est le seul discours des quatre (+1) où le sujet ($) n'a pas de relation avec l'énonciation (S1). Relation $-S1 qui est privilégiée dans le Discours de l'Analyste. L'antipathie de structure entre Discours de l'Analyste et Discours Universitaire est patente. Au sujet de ce discours, Jacques Lacan a dit, en 1969, que l'Union Soviétique était là où il régnait. Pourquoi a-t-il dit cela ? Il y a certainement plusieurs raisons et peut-être songeait-il aussi à la volonté soviétique de construire, de fabriquer L'Homme Nouveau libéré des aliénations, superstitions et préjugés. Ce qui, peu ou prou, correspond à l'Übermensch allemand auquel il n'a rien à envier. J'ajoute à cela que notre époque contemporaine a donné naissance à des mythes modernes de Prométhée comme celui de Mary Shelley, Frankenstein, où la connaissance scientifique permet la réalisation de tous les fantasmes. Dans le mythe de Frankenstein il s'agit de transgresser la mort et aujourd'hui il s'agit d'une autre figure de la castration, la différence sexuelle, qui fait l'objet d'une tentative de transgression. Notre époque n'en est plus simplement au roman et les fantasmes aussi vieux que l'humanité de dépasser, transcender les limites de la condition humaine sont dorénavant décrits comme des objectifs à portée de main. L'intime relation entre la mort et le sexe est donc remaniée par notre modernité. Pour le moment, je demande au lecteur de garder à l'esprit l'idée de la fabrication, de la construction d'un Homme Nouveau produit par la connaissance. Pour ce faire il convient au préalable de dissoudre, de déconstruire et c'est à ce niveau précis de dissolution et de déconstruction que je situe les Gender Studies. Ce processus inclut aujourd'hui le corps en tant que sexué, y compris celui des enfants et des adolescents, comme le montre le film-documentaire « Petite Fille » mais aussi les expérimentations du centre pour transgenres de Tavistock et notamment l'histoire de Keira Bell, qui me font dire que les « thérapies de conversion » prennent aujourd'hui un tout autre sens … sans oublier l'expérimentation initiale de John Money, considéré comme le père des études de genre, sur ses propres enfants qui ont connu un destin des plus tragiques.



Les quatres discours +1 de Jacques Lacan

La théorie lacanienne des discours est ici nécessaire, même indispensable, pour situer mes propos et ainsi éviter de faire des contresens assez malvenus comme ceux d'Élisabeth Roudinesco lorsqu'elle évoque à la télévision une « épidémie de trans ». Cette dénomination pathologisante du phénomène transgenre n'en permet aucune véritable compréhension. Élisabeth Roudinesco, historienne et figure incontournable de la psychanalyse instituée, épouse parfaitement les propos du Père Josiah Trenham, proche du psychologue canadien Jordan Peterson, qui évoque quant à lui une « contagion sociale » transgenre. Il est aisé de comprendre pourquoi ces qualificatifs sont utilisés car ils permettent de décrire l'ampleur et la massivité du phénomène. Mais, une fois encore, après l'avoir affirmé dans la première partie de ce travail je le confirme : La dys-phorie, comme mal-aise dans la civilisation, n'a pas son lieu privilégié dans le corps d'un individu mais avant tout dans le corps social lui-même dont le transgenrisme, qui est le pendant idéologique de ce qui autrefois était nommé en clinique « transsexualisme », constitue le traitement par hormonothérapie, transformation chirurgicale et changement d'état civil. Dysphorie de genre et transgenrisme sont les deux faces d'une même pièce idéologique. L'un servant de solution à l'autre. Il ne fait aucun doute que notre époque s'est spécialisée dans la création de remèdes des maux qu'elle-même fabrique et que ses remèdes sont toujours pires que les maux dont elle prétend nous débarrasser. Je considère donc que le diagnostic en vogue de dysphorie de genre n'est pas d'une grande utilité clinique et que sa fonction est surtout de permettre le déclenchement des diverses procédures en vue d'une transition sur plusieurs niveaux (comme le montre parfaitement le film-documentaire « Petite Fille »). Ainsi je crois que ce diagnostic aura été un moyen d'introduire la notion de genre chère aux Gender Studies dans le domaine médical et psychologique. Après avoir rempli cette fonction idéologique, ce diagnostic devrait disparaître des manuels de psychiatrie puisque même l'Association Américaine de Psychiatrie vient de procéder à la dépsychiatrisation et dépathologisation du diagnostic de dysphorie de genre. Il y a une normalisation du phénomène transgenre et il ne m'apparaît pas comme saugrenu de penser qu'à terme les transitions pourront se faire sans passer par un suivi psychiatrique et psychologique. La dépsychiatrisation est au cœur même du néologisme « transgenre » qui est en soi la marque de la volonté d'effacer l'historique psychiatrique accolé au terme de « transsexuel ». L'autre effet, et non des moindres, de ce néologisme est tout simplement l'effacement de « sexuel » qui réfère bien entendu à la différence sexuelle elle-même péjorativement renommée « binarisme ». Tout est une question de mots, de sémantique. Céder sur les mots c'est toujours déjà avoir cédé sur les choses. Ainsi la genrification du sexe passe d'abord, voire uniquement, par le vocabulaire, par la langue qui charrie et véhicule avec elle toujours l'idéologie, le discours, auquel le sujet appartient. Dire « trans » pour sous-entendre « transgenre » pour ne plus dire « transsexuel » a toute son importance. À ce titre, on pourrait se demander pourquoi les homosexuels ne refusent pas aussi violemment leur qualificatif lui aussi entaché d'un passé psychiatrisant. Il y a, bien entendu, le terme « gay », qui procéde à la même suppression, au même refoulement, de « sexuel » et cela ne s'applique pas qu'aux « minorités » puisque le même effet est obtenu pour les hétérosexuels avec les termes « straight » de plus en plus usités par les francophones. Toute une neutralisation de la langue est en cours. Ce qui est loin d'être anodin. Il y a bien une autre raison à la suppression de « transsexuel » pour garder « transgenre » : un transsexuel n'est absolument pas un transgenre. Ils sont si différents qu'en réalité ils s'opposent radicalement. Cela sera développé dans la quatrième et dernière partie de ce travail qui apportera des précisions cliniques quant à toutes ces différentes nominations que recouvre le mot « trans » : transvestisme, transsexualisme, transgenrisme ...


« Transgenre », comme beaucoup d'autres néologismes produits à notre époque, témoigne de l'inclination moderne à la croyance que le langage procède du sujet et non le sujet du langage. C'est là l'une des possibilités produites par l'inversion de la flèche entre S1 et $ dans le Discours du Maître qui produit le Discours Capitaliste. Le sujet ne serait plus l'effet du signifiant mais l'agent qui maîtrise le signifiant pour produire son propre objet de jouissance qui, dans le cas des Gender Studies, n'est autre que lui-même ou son « identité de genre ». Jacques Lacan ne pouvait pas le prédire mais n'a-t-il pas donné avec cette inversion de la flèche la définition parfaite de la performativité de genre butlerienne ? Dans « Trouble dans le genre » il est facilement repérable que Judith Pamela Butler se situe aux antipodes du sujet de la psychanalyse, soit du sujet de l'Inconscient comme effet du signifiant.


« Je me suis demandé si, dans le cas du genre, on n'attendait pas de la même façon qu'il fonctionne comme une essence intérieure qui pourrait se révéler à nous, une attente qui finit précisément par produire le phénomène tant attendu. Ce qui fait apparaître deux aspects de la performativité de genre : d'abord, celle-ci tourne autour de cette métalepse, de la manière d'une attente de l'essence genrée produit ce que cette même attente produit à l'extérieur d'elle-même. Ensuite, la performativité n'est pas un acte unique, mais une répétition et un rituel, qui produit ses effets à travers un processus de naturalisation qui prend corps, un processus qu'il faut comprendre, en partie, comme une temporalité qui se tient dans et par la culture [...] L'idée que le genre est performatif a été conçue pour montrer que ce que nous voyons dans le genre comme une essence intérieure est fabriqué à travers une série ininterrompue d'actes, que cette essence est posée en tant que telle dans et par la stylisation genrée du corps. De cette façon, il devient possible de montrer que ce que nous pensons être une propriété « interne » à nous-même doit être mis sur le compte de ce que nous attendons et produisons à travers certains actes corporels, qu'elle pourrait même être, en poussant l'idée à l'extrême, un effet hallucinatoire de gestes naturalisés.»


Judith Pamela Butler — Trouble dans le genre (1990)


Cet extrait provient de la préface de son ouvrage écrite neuf ans après la première publication et présente un sujet en latence qui ne demande qu'à s'autoréaliser quitte à faire appel à un certain essentialisme qui contredit profondément le souhait de fluidité absolue. Cette contradiction au cœur du concept se retrouve sous la plume de Judith Pamela Butler sous l'étrange description de la performativité comme effet hallucinatoire de gestes naturalisés. Malgré son apparence alambiquée, cette performativité comme effet hallucinatoire de gestes naturalisés se traduit de façon simple dans le discours courant. Dans la bouche des enfants, des adolescents, et parfois même des adultes transgenres revient souvent cette expression : « n'être pas né dans le bon corps », comme si leur essence genrée intérieure ne se reflétait pas sur et dans leur corps et que c'est précisément cette essence qu'il faudrait faire advenir via la performativité. Judith Pamela Butler, et les Gender Studies en général, postulent alors l'existence d'un sujet indépendant de son corps mais qui pourrait réaliser son corps à partir de l'idée qu'il s'en fait à un moment donné. Cette conception se rapproche de l'ego-psychology américaine sévèrement critiquée par Jacques Lacan et cela démontre, une fois encore, l'incompatibilité entre les études de genre et la psychanalyse. Pour en revenir à Judith Pamela Butler, la professeur californienne est bien contrainte de faire appel à un essentialisme somme toute assez naïf sous la forme d'un sujet pré-discursif, un sujet « derrière » ou « d'avant » le langage qui lui permettrait toute performativité. Un sujet non assujetti au langage mais maître de celui-ci et créateur de son genre et de son monde. D'ailleurs Judith Pamela Butler est en cohérence avec ses idées et s'est inscrite dans le registre de l'état de Californie comme « non-binaire ». Ce concept de performativité de genre n'est autre qu'un des multiples effets de cette inversion de flèche décrite par Jacques Lacan comme peuvent l'être les nouvelles formes éducatives analysées par Hannah Arendt, où l'écolier produirait lui-même son propre savoir, ou encore cette récente pétition, s'appuyant sur une lecture foncièrement malhonnête de Françoise Dolto, qui a fait suite à la diffusion de « Petite Fille » pour le droit à l'autodétermination de l'enfant. À quand une pétition en faveur du droit à l'auto-engendrement ? Cette logique de l'inversion et le droit à la jouissance qu'elle porte en elle produit aussi parfois des situations aussi cocasses qu'inédites comme cet homme qui porte plainte contre ses parents parce qu'ils ne lui ont pas demandé son avis avant de lui donner naissance ou encore cette famille ou le fils et la mère sont devenus « fille » et « père » après leur « coming-out transgenre » et leur transition. La promotion du sujet, en tant que subjectivité, et celle du narcissisme de la petite différence, dominent l'époque.


Cela dit, l'interprétation psychanalytique invite à l'équivocité signifiante et permet de percevoir dans cette inversion de la flèche S1-$ aussi un renversement du S1. Une inversion est toujours un renversement. La chute du S1, signifiant-maître, sous la barre, en faveur de la promotion du sujet ($) fait évidemment écho à la longue série de tentatives de « déboulonnage des idoles », au sens propre comme figuré, qui avant d'être des patriarches ou plutôt des mâles, blancs, cisgenre, hétérosexuels, de plus de cinquante ans sont surtout des signifiants-maîtres (Marx, Hegel, Freud, Lacan ...) qui empêchent de jouir en rond. La lutte contre le patriarcat ou ses succédanés ne date pas d'aujourd'hui, ni même du xxème siècle d'ailleurs, mais il s'agit là d'une vieille lune et même d'un vieil acquis décrit par Karl Marx déjà en 1848 quand il parlait du capitalisme qui, de part son rôle éminemment révolutionnaire, avait foulé aux pieds les relations patriarcales.


ALI : LE PREMIER HOMME TRANSGENRE ENCEINT FRANÇAIS



Que ce qui s'appelle patriarcat soit depuis longtemps l'ombre de ce qu'il a pu être n'est pas une simple vue de l'esprit et les expériences transgenres dont les témoignages fleurissent ne font que renforcer ce constat depuis longtemps établi par Karl Marx. Je prends pour exemple ces vidéos diffusées par France Culture et Kombini qui relatent le parcours d'Ali et qui donnent en supplément une démonstration parfaite de la performativité butlerienne comme effet hallucinatoire de gestes naturalisés. Pour commencer, le simple fait que France Culture (radio publique) et Kombini (média à la mode) puissent proposer un tel contenu est déjà un indice sérieux que le patriarcat supposé a de nos jours les plus grandes difficultés à imposer ses règles et ses censures. Pour confirmer cette impression je remarque aussi que d'autres supports comme les médias Komitid, Tétu ou Télérama ont contribué à faire d'Ali une petite célébrité du net en relayant son histoire qu'elle raconte avec beaucoup de plaisir et de fierté. Que penser d'une soi-disant société patriarcale et supposément hétéro-normative qui laisse se partager ainsi en son sein l'histoire d'un « homme transgenre enceint » ? Cela simplement pour la forme. Pour le fond, ces documentaires présentent la « transernité » d'Ali qui relate son histoire qui est celle du premier « homme transgenre enceint » de France. D'ailleurs, il est notable que la présentatrice de France Culture, Sonia Kronlund, qui parle d'une histoire merveilleuse, adopte bien volontiers et sans réserve aucune le vocabulaire de la cause : « enceint », « né femme », « cis », « genre assigné à la naissance », « transernité ». Ce lexique, cette façon de parler, se retrouve dorénavant à l'ordre du jour même dans le Planning Familial où l'on apprend notamment qu'un pénis n'est pas un organe sexuel mâle. Ali narre sa « transernité » — néologisme formé à partir de « maternité » — et décrit comment de la sécurité sociale à sa famille, en passant par les magistrats, les avocats, ses amis, son accompagnatrice à l'accouchement, les sages-femmes, le médecin ... tout a été parfaitement mis en place et organisé pour que la venue au monde de sa fille, Salomé, se fasse dans les meilleures conditions. Les seuls petits accrocs qu'Ali ait rencontrés sur son chemin sont, premièrement, la surprise de sa responsable des ressources humaines au moment de l'annonce de sa grossesse qui, selon ses propres dires, n'a pas été malveillante mais maladroite. En effet, elle pensait depuis le départ qu'Ali était un homme et par voie de conséquence qu'elle ne pouvait pas avoir d'appareil génital féminin. Et puis, dans un deuxième temps, lors des moments juste avant l'accouchement parce que le médecin, entouré des sages femmes aux petits soins, ne (lui) parlait pas et restait concentré sur ce qu'il avait à faire. Dans le cas de la responsable des ressources humaines Ali évoque une bible sur le bureau de celle-ci et pour le médecin il s'agit évidemment d'un « mâle, blanc, hétérosexuel, cisgenre et vieux » précise-t-elle. Il y a aussi eu les cours, en groupe, de préparation à l'accouchement qui étaient « trop » et « pas possibles » parce que l'ambiance y était « trop hétérosexuelle » puisque les formatrices employaient les mots « papa » et « maman » ou « monsieur » et « madame » pour s'adresser aux futurs parents présents dans la salle mais, dit-elle, elles ont quand même fait l'effort de « dégenrer », soit de neutraliser, leur vocabulaire. Voilà concrètement, en France, les « oppositions » réelles qu'un « homme transgenre enceint » rencontrent sur son chemin lors de sa « transernité » . Un peu comme dans le documentaire « Petite Fille », la question se pose de savoir effectivement contre qui ou contre quoi la cause transgenre lutte. Quel(s) droit(s) à jouir supplémentaire(s) cette cause doit-elle encore glaner ? Donner naissance à un être humain en tant que transgenre, le tout en parfaite légalité et dans une acceptation sociale unanime, n'est-il pas en soi une preuve irréfutable que le combat est déjà largement gagné, que la lutte est déjà amplement remportée ? Où est donc l'oppresseur patriarcal dans le parcours d'Ali ? Où est donc l'organisation systémique qui empêche les « genres non conformes au système binaire d'évoluer dans un monde plus juste et moins violent ? » me demande-je avec les mots de Judith Pamela Butler. Et avec ceux de Paul Beatriz Preciado, je me demande aussi : « Où est l'hétérosexualité comme régime nécropolitique producteur de violence » dans cette histoire ? Ils brillent par leur absence. Cela n'empêche cependant pas Ali et son partenaire, François, de continuer à parler de militantisme, de lutte, de combat, de fascisme ... et de prévenir leurs « alliés » et leur « communauté » de ne pas croire que « tout se passe toujours bien » même si dans leur cas tout avait été « vraiment chouette ». Cela donne le sentiment que même en l'absence objective de toute résistance ou de tout obstacle une menace doit planer. Pourquoi ?


Concernant la performativité butlerienne, il est évident que dans ces entretiens la panoplie de néologismes ne référant à aucune espèce de réalité tangible témoignent de la croyance en un sujet « au-dessus » du langage — comme dans le discours capitaliste où le $ est au-dessus du S1 — un sujet qui manipule le langage comme il le ferait avec un objet. D'ailleurs pour évoquer la conception de leur enfant, Ali et François, parlent de « fabrication ». Dans la longue liste de néologismes, le couple évoque notamment celui de « transernité », mais aussi « Pali » et « Doude » en lieu et place de « maman » et « papa » qui, de par leur positionnement politique, ne peuvent pas être imposés à Salomé, leur fille. Selon Ali, sa fille de seize mois ne parle pas encore. Ce qui est plutôt surprenant parce qu'à cet âge un enfant sait depuis des mois déjà interpeller ses parents en disant « papa », « maman » ou des dérivés. Un enfant peut-il apprendre à dire « Pali » et « Doude » au même rythme que « papa » et « maman » ? C'est une véritable question. À noter également que les signifiants « maman » et « papa » en-deçà de décrire un lien de parenté renvoie aussi à la réalité psychique de l'enfant en décrivant le double possessif « ma/ma » et le double négatif « pa/pa », et cela se retrouve dans de nombreuses langues. D'autres questions seraient : quel type de lien de parenté les néologismes « Pali » et « Doude » décrivent-ils pour cet enfant ? Cela traduit-il pour elle une quelconque réalité psychique ? Et si Salomé en devenant adulte venait aussi à avoir un enfant, comment celui-ci denommerait-il alors ses grands-parents ? « Grand-Pali » ? « Grand-Doude » ? Ou bien d'autres néologismes devront-ils être créés pour l'occasion ? Sans parler de la famille élargie ou même des amis de leur fille. Comment, par exemple, les amis de Salomé vont évoquer ses parents ? Ton « Pali » ? Ton « Doude » ? Seront-ils contraints d'employer le lexique de la cause pour montrer leur bienveillance et leur ouverture aux enfants de parents transgenres ? Le nom de famille de cet enfant pose aussi question. Porte-t-elle le nom de son Pali ou le nom de son Doude ou peut-être le nom des deux ? Tout cela soulève des questions inouïes et inédites et donne une idée plus claire de ce que Judith Pamela Butler appelle l'entretien d'une confusion à but subversif. Est-ce là un exemple de ce que Paul Beatriz Preciado nomme l'abolition de la famille hétérosexuelle et patriarcale et qu'il appelle de ses vœux ? François justifie aussi qu'il ne se qualifie pas comme le père de cet enfant pour ne rien retirer à Ali en tant qu'homme transgenre. En plus d'avoir porté cet enfant — d'en être la mère donc — Ali doit aussi en être le père comme le dénote certainement le « P » de « Pali ». Dans le discours François est alors le Doude de cet enfant et Ali un curieux conglomérat entre père et mère portant le nom de Pali. N'est-ce pas ce qui s'appelle un fantasme de toute-puissance ? Soit un fantasme d'échapper à la castration qui toujours s'accompagne d'autres fantasmes d'auto-punition ? Cette hypothèse aurait au moins le mérite d'expliciter un tant soit peu la « menace flottante » imaginairement attribuée à un patriarcat, en réalité inexistant, puisque ce qui est absent ici n'est autre que la place et la fonction paternelle.


Avec cet exemple à l'appui il est plus facile de comprendre que la performativité comme série d'actes ininterrompus dans et par la culture et le social ne peut être considérée que comme un effet hallucinatoire de gestes naturalisés. Cette dénomination sonne même comme un aveu de la part de Judith Pamela Butler. En effet, si les gestes sont « naturalisés » c'est qu'ils n'ont rien de naturel. Pour éviter des raccourcis naturalistes ou biologisants je dirais simplement que ces gestes, qui sont autant de signifiants, n'ont rien d'évident puisqu'ils sont forcés, sont et font l'objet d'un forçage qui n'est autre que celui du langage lui-même. Ils ne peuvent aboutir en effet qu'à une hallucination, soit, pour le dire simplement, à une perception sans objet. Ce qui est littéralement hallucinant, et même hallucinatoire, dans l'histoire d'Ali est que le social — du droit en passant par l'administration jusqu'à son entourage — puisse prendre pour un homme une femme enceinte qui a un faciès masculinisé, — naturalisé, dirait Judith Pamela Butler — par une prise d'hormones. Ce qui est hallucinant est que François, qui se dit homosexuel, puisse coucher avec une femme, qu'elle tombe enceinte de lui, sans que cela ne pose la moindre question sur son homosexualité supposée. Est-ce cela que Paul Beatriz Preciado appelle « un couple hétérosexuel sans homme et sans femme » ? Ce qui est hallucinant est qu'Ali se définissait comme « gouine androgyne », femme donc, il y a quelques années et maintenant comme « homme transgenre » sans que cela ne semble faire question non plus. Finalement ce qui est hallucinant est qu'aujourd'hui il faille affirmer une évidence qui est celle qu'un utérus n'est pas un « construit social » mais bel et bien un organe génital féminin et poser cette question : le premier « homme enceint » de France n'est-il pas tout simplement une femme ? Une femme à la pilosité faciale développée, à la voix aggravée par une prise de testostérone et à la poitrine ablatée, certes, mais une femme tout de même puisqu'elle a été enceinte. Et si, cette histoire merveilleuse et extraordinaire qui permet à la lutte transgenre de gagner du terrain contre les injustices n'était rien d'autre qu'une banale rencontre entre une femme et un homme qui ont eu un enfant ensemble ? Bien entendu, cette femme et cet homme sont pris dans une idéologie, mais leur rencontre, en tous points hétérosexuelle, n'est-elle pas des plus classiques ? Bien sûr, Ali ne veut pas entendre cela, ne veut pas accepter, comme elle le dit dans une dénégation, que « la nature a repris le dessus ». Dans cette histoire, le social horriblement patriarcal et hétéro-normatif ne fait rien d'autre que d'alimenter ses fantasmes et, plus généralement, il ne fait rien d'autre que de se courber devant tous les desideratas individuels afin de leur faire une place . Cela doit-il être célébré ? Cela doit-il être déploré ? Là-dessus le psychanalyste laisse volontiers les personnes à leurs affects, aussi divers puissent-ils être, mais il ne peut pas ne pas constater que le malaise dans la civilisation prend une forme toute à fait particulière. Là où j'insiste est qu'il s'agit alors de bien autre chose que de simples caprices de sujets néo-libéraux narcissiques. S'arrêter à ce constat, en partie vrai, ne permet aucune avancée quant à la compréhension d'un phénomène inédit. L'histoire d'Ali, qui a déjà fait des émules — comme en témoigne Louise et « sa transernité de personne intersexe ascendant non-binaire » — est un appui supplémentaire qui me fait dire que la dys-phorie, comme mal-aise, prend place avant tout dans le corps social lui-même davantage que dans celui d'un individu particulier. Quelle vision du monde est en cours de construction ? C'est ce que je me propose de développer dans la partie suivante de ce travail.




PAS DE TRANSGENRISME SANS TRANSHUMANISME


Si je devais paraphraser Monique Wittig, je dirais alors que les Gender Studies sont la théorie et le transgenrisme la pratique. Le lecteur l'aura compris, dans ce présent travail, les Gender Studies et le transgenrisme sont considérés comme faisant corps avec le Discours Capitaliste — qui est le Discours du Maître — qu'ils ne questionnent pas mais, bien au contraire, servent absolument. Jamais les Gender Studies ne pourront subvertir les coordonnées symboliques de ce discours puisqu'elles en épousent profondément la logique et en sont même l'incarnation paroxystique. Cela participe, je crois, d'un des effets majeurs du discours dominant qui est de vouloir obtenir un objet, au sens naïf de ce terme, tout en s'imaginant pouvoir en extraire son noyau réel, dérangeant, voire traumatique. Cela est une façon de vouloir obtenir un objet donc, mais sans en payer réellement le prix. Notre époque nous propose l'édulcorant comme alternative au sucre, qui est un sucre sans calorie. Aussi, nous avons la bière sans alcool, le café sans caféine et la cigarette sans nicotine. Les sites de rencontres nous offrent l'amour sans tomber, la technologie la guerre zéro mort et la proximité sans contact, et une certaine philosophie ose la psychanalyse sans Œdipe. Je me demande alors si le genre ne serait pas la sexuation sans sexe ? N'est-ce pas exactement ce qu'écrivait Judith Pamela Butler dès 1990 ?


« Lorsqu’on théorise le genre comme une construction qui n’a rien à voir avec le sexe, le genre devient lui-même un artefact affranchi du biologique, ce qui implique que « homme » et « masculin » pourraient tout aussi bien désigner un corps féminin qu’un corps masculin, et « femme » et « féminin » un corps masculin ou féminin. »


Judith Pamela Butler — Trouble dans le genre (1990)


Une sexuation sans sexe, soit, en suivant Judith Pamela Butler, un corps féminin sans femme et un corps masculin sans homme ou une femme sans corps féminin et un homme sans corps masculin. Mais à partir du genre comme découplage artificiel, si le masculin ne renvoie plus nécessairement à l'homme, ni l'homme au masculin, et le féminin à la femme, ni la femme au féminin, comment dorénavant reconnaître, différencier l'un de l'autre ? Selon les études de genre qui prônent l'auto-détermination, la reconnaissance du sujet passerait donc exclusivement par ce qu'il pense, s'imagine et dit être. Cela a déjà produit quelques scènes médiatiques devenues cultes. Cette scène avec le militant LGBTQIA+, Arnaud Gauthier-Fawas, où il affirme n'être pas un homme n'a rien à envier à une autre scène que voici:



Scène qui a eu lieu sur le plateau de « Interdit d'interdire » où la psychanalyste et philosophe, Silvia Lippi, soutenait donc que Frédéric Taddeï — qui en deçà d'être un présentateur télévisuel est un homme, hétérosexuel de surcroît — pouvait absolument être une lesbienne à condition :


« d'avoir trouvé à partir de son désir inconscient son identité, parce que l'identité n'est pas le Moi, mais l'identité est, moi je dis, un symptôme, c'est-à-dire un rapport du désir inconscient lié à son propre trauma subjectif. Donc, à partir de cette identité, le sujet a aussi le droit de dire : « Moi, en tant que femme, je vais dans une prison pour femmes », indépendamment des formes de son propre corps. »


Je dois bien avouer ici ma profonde incompréhension des propos de la psychanalyste et philosophe bien qu'elle se réclame, notamment, de Jacques Lacan, mais une fois encore je note, comme dans le témoignage d'Ali, qu'il s'agit pour le sujet « d'avoir le droit ». Ce que je crois aussi comprendre est, qu'indépendamment des formes de son corps, un homme peut alors ne pas être un homme (Arnaud Gauthier-Fawas) et peut aussi absolument être une lesbienne (Silvia Lippi), donc une femme. Mais un homme peut-il toujours modestement être un homme ? J'aimerais m'attarder quelque peu sur l'expression qu'emploie cette psychanalyste et qui, à mes oreilles, a des accents assez butleriens : « indépendamment des formes de son corps ». Le corps ne compte-t-il plus pour savoir à qui nous avons affaire ? Quelle idée cette psychanalyste se fait-elle du corps ? Le lecteur ne sera pas surpris d'apprendre que Silvia Lippi élabore un rapprochement entre la psychanalyse et les études de genre, et plus précisément avec la pensée de Paul Beatriz Preciado et Judith Pamela Butler. Avec le philosophe Patrice Maniglier elle a également produit une analyse du film-documentaire « Petite Fille » dont j'aimerais extraire le passage qui illustre l'idée du corps qu'elle défend :


« Si nous sommes d’accord avec Lacan sur l’idée que la non-conformité à soi est, en matière de sexe, et plus généralement de corps, la norme et non pas l’exception, nous pensons que cela n’est pas dû au fait que la différence des sexes traverse chaque sujet, mais à ce que le corps est d’abord et avant tout donné comme magma de pulsions partielles autonomes et acéphales (pulsion orale, pulsion anale, pulsion scopique, etc.). Une partie de ce qu’on appelle sexe, ou genre, est formé par un montage plus ou moins mal foutu de ces différents morceaux, qui fonctionnent comme des accessoires qu’on compose en vue de constituer un corps qui marche. C’est très exactement ce que fait Sasha dans une des scènes les plus belles et les plus impressionnantes du film où elle se regarde dans un miroir en essayant tantôt un chapeau, tantôt un ruban, puis un collier, une couronne… Les « organes » du corps sont eux aussi des accessoires qu’on accroche, déplace, ajoute, détache, rattache, les uns avec les autres. De ce point de vue, le pénis est comme le chapeau, le sein comme le ruban : les organes sont épinglés sur le corps comme des broches ou des fleurs ; ils blasonnent le corps. Le sexe est affaire d’héraldique, à même la chair. Et ce qui commande ces montages, c’est ce que Lacan a appelé jouissance, mélange de plaisir et de souffrance, lié à l’expérience traumatique du sujet, qui se fixe au niveau de l’inconscient. »


Silvia Lippi & Patrice Maniglier — Dysphorique toi-même ! (2021)

Bien que le nom de Jacques Lacan soit cité deux fois dans ce passage, l'idée du corps qui y est développée est largement empruntée à Gilles Deleuze et Félix Guattari dans nul autre ouvrage que « L'Anti-Œdipe » (!) publié en 1972. Il y a ici déjà un premier lien intéressant qui peut-être supposé entre ce que j'appelle le genre comme sexuation sans sexe que propose Judith Pamela Butler et la psychanalyse sans Œdipe que propose Gilles Deleuze. Je développerai ce lien plus en détails ultérieurement parce qu'il ne repose en réalité que sur l'absence d'un point, et pas n'importe lequel, que Jacques Lacan appelait le point de mythe de la différence sexuelle.


Il y aurait aussi beaucoup à dire au sujet du passage ici présenté et ce à quasiment chaque ligne mais par souci de concision et afin de ne pas perdre le fil conducteur de l'exposé je me contenterai de ne mettre en exergue que l'idée du corps aux organes amovibles qui y est développée. Les organes y sont présentés comme des accessoires et je dirais même que, pour les astudiés du genre, dans la sexuation l'organe sexuel est accessoire. Le pénis serait comme un chapeau et le sein comme un ruban : de accessoires accessoires, parfaitement décoratifs, desquels le sujet peut se passer. C'est à se demander si les astudiés du genre éprouvent les mêmes sensations quand leurs bien-aimés caressent leurs parties intimes que leurs boutons de manchette. À partir de telles considérations, si le pénis est effectivement comme un chapeau, il est évident que l'idée d'homme et de femme, de masculin et de féminin, devient à son tour tout à fait superflue et qu'un corps peut alternativement et simultanément être les deux et aucun à la fois. Ce corps, deleuzo-butlerien, fait de flux, de fluides, d'un magma de pulsions susceptible d'être construit, déconstruit, reconstruit, modelé, fabriqué, arrangé ; ce corps puzzle ou patchwork fait d'organes que l'on pourrait assembler et désarticuler ; ce corps fait de bouts, de morceaux, de brics et de brocs que l'on attache, détache, colle, façonne ; ce corps n'est-il pas le corps rêvé, le corps idéal, le corps glorieux enfin advenu du capitalisme ? Un corps-pâte-à-modeler, comme un merveilleux terrain de jeu, lieu de tous les possibles, de tous changements, de toutes les transformations, expérimentations, et bien sûr et avant tout le lieu par excellence de toutes les exploitations.


Pourtant Silvia Lippi affirme le contraire et parle de ce que je nomme « corps-pâte-à-modeler » comme « corps DIY » qui ne serait pas le corps rêvé du capitalisme mais qui s'y opposerait :


« Corps désiré, idéalisé, bricolé, le corps trans est une célébration des pouvoirs à la fois individuels et collectifs du corps. C’est un corps DIY. Quelque chose est dite en anglais DIY, Do it yourself (littéralement en français par « faites-le par vous-même »), lorsqu’elle est « faite maison », ou « faite à la main ». Les pratiques DIY visent à créer ou à réparer des objets de la vie courante, technologiques, artistiques, généralement de façon artisanale. C’est du bricolage bien sûr, mais au-delà d’une simple volonté de récupération, les mouvements Do It Yourself s’opposent au monde capitaliste de l’ultra consommation dans lequel ils baignent, et ils signalent le désir d’avoir une certaine indépendance par rapport à l’industrie et aux grands groupes commerciaux, de retrouver un savoir-faire abandonné, qui pousse les individus à chercher des solutions pour faire le maximum de choses par eux-mêmes, en opposition à la marchandisation dominante. »


Silvia Lippi — Le corps DIY (do-it-yourself) : symptôme et bricolage dans les expériences trans (2021)


Le corps DIY est décrit comme la célébration des « pouvoirs » individuels et collectifs, ce qui n'est pas sans rappeler les fameux « droits à la jouissance » déjà maintes fois évoqués dans ce présent écrit. Mais de quoi cette surprenante conception du corps est-elle vraiment la célébration ? Cette conception a en effet de quoi plaire : quelle liberté cela serait que de pouvoir faire tout ce que nous voulons de notre corps, de le transformer à souhait. En réalité, où a-t-on déjà vu un « corps Do-it-Yourself »? Un corps « bricolé » issu d'un « savoir-faire abandonné », « fait à la main », pour reprendre les mots de Silvia Lippi ? Qui peut se targuer d'avoir fabriqué son propre corps, seul, dans son coin, d'avoir un corps « fait maison » pour échapper au capitalisme et à la si mal nommée « société de consommation » ? La réponse est évidente : personne, pas même les transsexuels dont l'existence témoignerait plutôt de l'inverse. Cette conception, qui n'est autre qu'un montage abstrait, ne renvoie à aucune espèce de phénoménalité ou de réalité. Les idées des astudiés du genre auraient-elles aussi peu de corps que le corps qu'ils appellent de leurs souhaits ? En deçà même d'être une pure abstraction, cette conception du corps, insistant sur sa supposée malléabilité, plasticité et transformabilité, est surtout une injure à l'expérience transsexuelle elle-même qui est bien loin de s'apparenter à une pratique « DIY ». Faut-il rappeler le douloureux chemin qu'empruntent les personnes qui s'engagent dans une transition ? Le corps qui souffre longtemps encore après les opérations chirurgicales. La prise journalière, et à vie, d'anti-douleurs ainsi que d'hormones de synthèse. Les exercices physiques auxquels doivent s'adonner quotidiennement les transsexuels afin d'assouplir telle partie du corps et d'affermir telle autre. Ce corps, devenu dépendant du savoir médical (chirurgien, endocrinologue, psychiatre …) et par voie de conséquence de tous les outils, produits et techniques issus des grandes entreprises et des laboratoires pharmaceutiques, est-il un corps « fait maison » ? Ce corps lutte-t-il contre le capitalisme ? — qui, je le rappelle, avant d'être un système de consommation, est surtout celui de l'exploitation. Ce corps s'est-il libéré de ses aliénations ou en a-t-il ajoutées d'autres ? Ce corps soi-disant « fait à la main » n'est-il pas plutôt dans le creux de la main invisible du capitalisme telle que décrite par Adam Smith ? Cette conception donne effectivement l'idée que la subjectivité contemporaine peut être en pleine possession des moyens de production de son propre corps alors qu'en le livrant à la science et aux industries elle ne fait que s'en déposséder encore plus. Le corps a effectivement toujours été un champ de batailles politiques et idéologiques et, en donnant les moyens de subsistance même de ce corps à la science et à l'industrie, la subjectivité contemporaine n'est-elle pas en train d'abandonner définitivement ce qui lui appartient en propre ? Ou comment le fantasme de toute-puissance et d'auto-engendrement permet la plus profonde et totale des exploitations alors jamais réalisée. Il est inconcevable que les grandes puissances économiques puissent laisser inexploités une telle opportunité, un tel gisement de croissance, une telle création de nouveaux marchés et ne trouvent pas grandiose l’idée d’exproprier chacun de son corps pour le lui revendre en pièces détachées ou réagencé, reconstruit. Sinon comment comprendre que toutes les plus grandes industries soutiennent le mouvement transgenre et qu'il existe déjà des « business plans » pour étendre le marché de la dysphorie de genre ? La cupidité et l'avidité propres au capitalisme ont-elles soudainement viré à l'altruisme et à l'humanisme ? Apple vient de créer un nouvel émoji « homme enceint », Microsoft organise des journées « pride », Pfizer célèbre la journée dédiée aux transgenres, PayPal accorde des bénéfices à ses employés transgenres, Netflix multiplie les séries consacrées aux transgenres, la célèbre marque de rasoir Gilette fait d'un homme-transgenre l'égérie de sa nouvelle publicité, Coca-Cola soutient la « cause », Nike milite pour que les femmes-transgenres puissent participer aux mêmes compétitions sportives que les femmes ...



Voilà pourquoi Jacques Lacan parlait du discours capitaliste comme ce qu'il y a de plus astucieux. Il y a, en effet, toujours des trucs et des astuces pour faire passer l'enfoncement dans l'aliénation comme un gain de liberté. Je catégorise alors les études de genre, ainsi que toutes les formes qu'elles peuvent prendre, dans ces trucs et astuces du discours capitaliste. J'ajoute à cela qu'il serait faux de considérer le transgenrisme, en tant qu'idéologie, comme un pas vers le transhumanisme puisque le transgenrisme est déjà un transhumanisme. Le transhumanisme, comme nouvel eugénisme, ne peut prendre son essor que de la négation du réel du corps, soit de sa limitation, par le sexuel et par la mort, comme ce qui définit la condition humaine. Contrairement aux abstractions des astudiés du genre les idées que je présente et développe ici s'ancrent aussi dans la réalité. J'en veux pour preuve l'existence d'un certain Martin Rothblatt, homme d'affaires multimillionnaire dans la technologie et la pharmacologie, devenu depuis 1994 « Martine » après avoir eu deux enfants avec son épouse de laquelle il a fait produire un clone robotique, « le plus avancé au monde », nommé Bina48. Cela rappelle le prénom qu'un autre transhumaniste, beaucoup plus célèbre, Elon Musk, a donné à ses enfants. Encore une fois, l'hypothèse défendue ici n'est pas la proximité entre transgenrisme et transhumanisme mais celle que ces deux idéologies n'en sont qu'une.


Contrairement à tous les idéologues cités, Martin Rothblatt a l'avantage de la limpidité et de la clarté dans la présentation de ses idées, et ce dès le titre de ses ouvrages :


« Une fois que nous réalisons que notre douceur essentielle est dans nos esprits et que chacun de nous a un potentiel de chemin de vie unique qui n'est pas entièrement lié à un itinéraire déterminé par le corps, alors il est aussi raisonnable d'être transhumain que d'être transgenre.


[...]


La technologie est aussi le démantèlement des justifications « observationnelles » de l'apartheid sexuel. Les instruments technologiques les plus avancés nous ont appris que les gens naissent avec un continuum, pas une dualité, des biomarqueurs sexuels tels que le système reproducteur morphologique, endocrinologique, hormonal et neurologique cérébral.


La technologie chirurgicale et pharmaceutique permet la modification du corps en un domaine transgenre.


Plus récemment, la cyber-technologie a permis aux gens de se vêtir facilement de la personnalité ayant une variété illimitée de types de sexe, et de vivre, travailler et jouer en ligne dans ces identités transgenres.


La technologie s'arrêtera-t-elle au transgenre ? Si un siècle ou deux de technologie ont démoli des millénaires de dualité sexuelle absolue, que pourraient donner quelques décennies supplémentaires de technologie en croissance exponentielle ? Le sexe est au cœur de la biologie, et pourtant la technologie a transcendé la biologie et nous a donné une explosion d'identités sexuelles.


Ainsi, à mesure que la technologie continue de transcender la biologie, à quoi pouvons-nous nous attendre au-delà de l'apartheid sexuel ? Une explosion des identités humaines ? La réponse, en un mot, est : le transhumanisme. »


Martin Rothblatt — De transgenre à transhumain : un manifeste sur la liberté de forme (2011)



L'ouvrage de Martin Rothblatt regorge de croisements et de recoupements entre transgenrisme et transhumanisme et les passages ici mis en exergue ont pour principal objectif d'exposer le postulat sur lequel ces deux mouvements, qui n'en font en réalité qu'un, s'étayent : l'esprit, dans sa douceur et sa fluidité, est l'essence même de l'être humain et le corps est le substrat matériel qui doit refléter la liberté spirituelle à l'aide de la science (technologie) afin de mettre fin à la différence sexuelle qu'il appelle apartheid sexuel. Voilà résumées en quelques mots toutes les caractéristiques du transgenrisme — notamment la volonté de nier le réel sexuel et le militantisme — et son principe et son dessein avoués, le transhumanisme. Cette formulation on ne peut plus directe de Martin Rothblatt a aussi le mérite d'épargner au lecteur tout un jargon philosophico-psychanalytique qui pourrait aussi faire croire que seuls les idéologues et universitaires pourraient réellement saisir les enjeux de la question transgenre en lien avec le transhumanisme. Le cas de Martin Rothblatt est alors exemplaire de la logique qui soutient ce mouvement mais le lecteur pourra toujours dire, et à raison, qu'il ne s'agit que d'un cas particulier et que le militantisme pour les droits des transgenres, ainsi que les productions intellectuelles des Gender Studies, ne mènent pas nécessairement au transhumanisme et en cette foi totalement aveugle en la science alors devenue l'équivalent d'une religion. Quant est-il, par exemple, de Paul Beatriz Preciado et de son rapport au transhumanisme ? Voici, pour ne citer que son discours fait aux adeptes de l'École de la Cause Freudienne, quelques passages qui indiquent sans ambiguïté aucune son positionnement :


« Internet, la physique quantique, la biotechnologie, la robotisation du travail, l'intelligence artificielle, l'ingénierie génétique, les nouvelles techniques de reproduction assistée, et le voyage extraterrestre précipitent également des changements sans précédent vers l'invention d'autres modalités d'existence entre l'organisme et la machine, le vivant et le non-vivant, l'humain et le non-humain, tandis que de nouvelles hiérarchies dans le domaine politique apparaissent et disparaissent.


[...]


Je préfère ma nouvelle condition de monstre à celle d'homme ou de femme, car cette condition est comme le pied qui avance dans le vide en indiquant la voie vers un autre monde.


[...]


Il est aujourd'hui nécessaire d'articuler une nouvelle notion d'appareil somatique pour prendre en compte les modalités historiques et externalisées du corps, celles qui existent médiatisées par les technologies numériques ou pharmacologiques, biochimiques ou prothétiques. La somathèque est en mutation.


[...]


Faire une transition de genre, c'est inventer un agencement machinique avec l'hormone ou avec un autre code vivant — le code peut être une langue, une musique, une forme, une plante, un animal, ou un autre être vivant. Faire une transition de genre c'est établir une communication transversale avec l'hormone, qui efface ou mieux éclipse ce que vous appelez le phénotype féminin et qui permet l'éveil d'une autre généalogie. Ce réveil est une révolution. Il s'agit d'un soulèvement moléculaire. Un assaut contre le pouvoir de l'ego hétéro-patriarcal, de l'identité et du nom. C'est un processus de décolonisation du corps. »


Paul Beatriz Preciado — Je suis un monstre qui vous parle (2019)


Les citations choisies parlent d'elles-mêmes et dénotent que le geste d'effacement de la différence des sexes est nécessairement aussi celui du couplage homme-objet, qui inclut le couplage homme-machine, comme en témoigne notamment dans ces passages l'utilisation de mots comme « appareil somatique » et « somathèque » pour ne plus parler de corps. D'ailleurs, Paul Beatriz Preciado ne s'y trompe pas et affirme qu'elle préfère sa condition de monstre à celle d'homme ou de femme, s'excluant ainsi elle-même du champ de l'humanité. Le transhumanisme comme ce qui va au-delà de l'humain, et donc ce qui nie l'humain dans l'Homme, est ce qui est réellement célébré par le transgenrisme. Cela se retrouve également sous la plume d'un autre universitaire :


« Au moment du triomphe des nouvelles technologies et de leur intrusion dans nos corps, l’heure de la mort de l’homme aurait bel et bien sonné. Mais, loin de pleurer cette perte, il s’agirait plutôt de la fêter. Elle vaudrait, en effet, comme une invitation à inventer de nouvelles manières d’habiter le monde. En dehors de l’anthropocentrisme – en tant que synonyme de la domination de l’humain sur le monde – peuvent advenir, au plus proche du réel, dans la brutalité de la vie, de nouvelles rencontres en mesure de réinventer un avenir pour la planète :


un avenir fait de puissances d’agir aussi inédites que les corps qui les exercent. Aussi à partir des appareillages technologiques, le féminisme et le post-féminisme questionnent non seulement la domination masculine mais aussi la figure de l’Homme et de l’humanité.


Ainsi, Donna Haraway, à la fin de son célèbre Manifeste cyborg, avouait préférer au statut de femme naturelle celui des cyborgs : créatures, « mi-animal, mi-machine qui habitent des mondes ambigus, naturels et fabriqués » (Haraway D., 2009, p. 268) et qui méritent d’être convoquées parce qu’elles triomphent justement des binarismes identitaires stricts (homme/femme, blanc/noir, hétéro/homo, nature/culture) qui caractérisent trop souvent l’humain. En fait, c’est la figure de l’humanité tout entière et de ses évidences (la plupart du temps blanches, masculines, hétérocentrées) qui, par l’intermédiaire des « cyborgs » ou du « post-humain », se voit remise en question.


Ici, la subjectivité se fait foyer de construction d’instruments critiques en mesure de cerner la prolifération des images dans leur intersection avec la domination, les technologies et la démultiplication des genres et des identités hybrides ; ici, les corps s’emparent des mécanismes qui les enserrent pour triompher du « malaise dans la civilisation ». La démultiplication des corps et leur malléabilité s’imposent comme un point de départ pour repenser les équilibres du monde et abandonner l’erreur du sujet cartésien maître et possesseur de la nature. Ici on fait littéralement « peau-neuve » : on se réjouit de l’échec de l’esprit de l’Homme, liquidé en même temps que la naturalité de sa chair. »


Fabrice Bourlez — Corps contemporains : vers des pulsions post-humaines ? (2013)


Fabrice Bourlez, psychanalyste et philosophe, a publié en 2018 un ouvrage intitulé « Queer Psychanalyse » dans lequel il s'agit de justifier l'introduction des études de genre et de la pensée de Judith Pamela Butler dans le champ psychanalytique pour, en créant une « psychanalyse mineure et inclusive », lutter contre le patriarcat ou l'homme blanc, hétérosexuel etc. Encore une fois, la proximité entre le transgenrisme et le transhumanisme est patente, voire confondante. Ici il s'agit de nier l'humanité en étant un cyborg ou une créature composite entre la machine, l'animal et l'homme — qui se rapproche du monstre de Paul Beatriz Preciado. Le transhumanisme, comme nouvel eugénisme, n'est pas sans rappeler la notion de biopouvoir ou de biopolitique. Bien que ces universitaires se réclament de Michel Foucault, et accusent le biopouvoir ou la biopolitique de la « normation des corps », il est intéressant de se rappeler ce court passage du penseur français lors d'une de ses interventions au Collège de France :


« Cet excès du bio-pouvoir apparaît lorsque la possibilité est techniquement et politiquement donnée à l’homme, non seulement d’aménager la vie, mais de faire proliférer la vie, de fabriquer du vivant, de fabriquer du monstre, de fabriquer – à la limite – des virus incontrôlables et universellement destructeurs. Extension formidable du bio-pouvoir qui va déborder toute la souveraineté humaine. »


Michel Foucault — Il faut défendre la société (1979)


Passage d'une étrange actualité permettant de saisir que pour Michel Foucault lui-même le biopouvoir, comme possibilité technique de fabriquer du monstre, n'est pas une perspective souhaitable mais, pour Paul Beatriz Preciado et Fabrice Bourlez, telle serait la voie à suivre pour triompher du malaise dans la civilisation et en finir avec l'Homme. Comment être plus éloigné de l'enseignement Freudien ? Ici il ne s'agit pas tant de transhumanisme mais de ce qui s'appelle posthumanisme, soit l'étape de l'évolution supposée après l'humanité. Les posthumanistes critiquent sévèrement le transhumanisme qu'ils considèrent encore trop humaniste, voire trop humain. Ça consomme, ça consomme si bien que ça se consume. Cette consumation et cette crevaison spécifiques du discours capitaliste que Jacques Lacan avait déjà repérées ne sont autres que celles de l'Homme. Cela n'est pas sans rappeler « L'obsolescence de l'Homme » — sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle — de Günther Anders (1979) dont le présent travail peut être considéré comme rien d'autre qu'une illustration de ce que le philosophe nommait homo creator et homo materia, soit la transformation par l'Homme de l'Homme en matière première. Le transhumanisme n'est alors pas bien loin de la transhumance puisqu'il opère une véritable rupture dans le progrès scientifique et l'expansion des savoirs en les retournant contre l'Homme lui-même et ainsi contribue à une transformation de la matérialité et de l'intériorité mêmes de l'Homme, et cette opération ne m'apparaît comme rien d'autre qu'une négation de l'Homme. Une fois encore, il convient de percevoir que le fantasme de l'Homme augmenté par la fusion avec divers types de machines ouvre la possibilité technique de traiter l'Homme comme matière première physiologique où il deviendra la prothèse de ses machines.


DE « BOY WITH MACHINE » À « PETITE FILLE »


À l'issue de cette deuxième partie, le lecteur peut être surpris du détour ici pris quant à l'objet initial qu'était l'analyse du film-documentaire « Petite Fille ». Ce détour m'est apparu néanmoins nécessaire afin d'expliciter ce que je n'avais alors que brièvement mentionné comme articulation possible entre transgenrisme et transhumanisme. À l'époque je pensais que le transgenrisme était une étape vers le transhumanisme, aujourd'hui je soutiens que le transgenrisme est déjà du transhumanisme. Il m'apparaît évident que le transgenrisme, comme pratique issue des études de genre, n'est pas le seul point de départ du transhumanisme. Je pense notamment à l'intelligence artificielle, à la procréation technologiquement et médicalement assistée, aux différentes manipulations génétiques comme le clonage et chimères homme-animal, aux diverses applications de la nano et biotechnologie … soit tout ce que la science a découvert et que le capitalisme exploite. La science découvre, l'industrie applique, l'Homme se conforme. Aussi je me demande jusqu'où l'Homme peut-il se conformer. Ce conformisme implique un impératif propre au discours de la science et à ses dérives technologiques auxquelles l'Homme se soumet. Pour être davantage précis je dirais que cet impératif correspond à l'inversion de l'impératif catégorique kantien « Tu peux parce que tu dois » en « Tu dois parce que tu peux » et qui pourrait se résumer ainsi : je peux donc je dois — puisque la science rend cela possible, alors il le faut. Le psychanalyste tient certainement là une fonction cruciale de régulation dans le rapport du sujet à l'impératif de jouissance, au pousse-à-jouir, promulgué par notre époque, en rappelant que le sujet peut ne pas jouir, peut ne pas céder à la jouissance, soit, ne pas céder sur son désir.


Alors, bien entendu, le transgenrisme comme tentative transhumaniste s'élance rempli d'espoirs vers l'émancipation des minorités de genre qu'il fabrique de toutes pièces, via les Gender Studies, pour les besoins de la cause. Telle est l'idée que j'ai développée lors de ces deux premières parties. Aussi, il est aisé de lire ici et là que grâce au transhumanisme les aveugles retrouveront la vue, les paralysés pourront de nouveau marcher … Telle est la mission humaniste quasi messianique qui guide cette entreprise. C'est pourquoi ce travail n'est pas une critique des choix individuels des parents croyant évidemment bien faire et ainsi aider leurs enfants, ou même de certains adultes pour eux-mêmes, mais celle de cette idéologie qui, par son incroyable force de frappe médiatique, réduit considérablement toute autre approche de la question « transgenre » ne serait-ce qu'en commençant par imposer son vocabulaire, sa syntaxe, ses raisonnements qui limitent de façon extraordinaire la capacité de penser cette problématique. Ici n'est pas le lieu pour témoigner des rencontres, de plus en plus fréquentes, que le psychanalyste peut faire avec des personnes se présentant comme « transgenre », « non-binaire », « queer » ou « genderfluid » puisque ces rencontres sont toujours prises dans un lien transferentiel particulier et même particularisé ; mais il convient de réfléchir sur le film-documentaire « Petite Fille » et les autres productions culturelles auxquelles beaucoup de monde peut se référer. Ainsi, « Petite Fille » présente la trajectoire singulière de Sasha mais fait alors figure de symbole de tous les enfants, les adolescents, et j'ajouterais même les adultes, qui empruntent ce chemin ayant pour point de départ l'acceptation d'un certain type de pensées qui, je le crois, les induit en erreur. Dans le cas de Sasha, comme dans de nombreuses autres, la problématique aurait pu être traitée de façon toute à fait différente, sans même poser sur lui le diagnostic de « dysphorie de genre », ni même celui de « transgenre ». C'est ce que je me propose de présenter dans la partie suivante. Les quelques éclaircissements produits lors de cette deuxième partie me permettront alors de poursuivre l'analyse du film-documentaire « Petite Fille ». J'y développerai une approche psychanalytique du corps, en m'étayant notamment sur les concepts de Jacques Lacan et de Françoise Dolto ; approche que je tiens comme absolument incompatible avec celle de Gilles Deleuze et des Gender Studies.


En guise de transition vers la troisième partie voici quelques questions au sujet de l'image choisie pour présenter ce travail. Celle-ci est bien connue des lecteurs de Gilles Deleuze puisqu'il s'agit du tableau de Richard Lindner « Boy with Machine » (1954) dont le philosophe s'est servi pour illustrer son concept de machine désirante dans « L'Anti-Œdipe » (1972). D'une façon assez surprenante Gilles Deleuze n'a jamais fait mention, comme s'il ne l'avait lui-même pas remarqué, de l'aspect tout à fait inquiétant qui transparaît non seulement du visage mais aussi du corps de l'enfant. Dans ce tableau tout se passe comme si le garçon savait exactement ce qu'il était en train de faire en tripotant sa petite machine elle-même branchée sur l'immense machine derrière-lui. Gilles Deleuze ne souligne jamais la connotation éminemment sexuelle de ce tableau, comme dans beaucoup d'autres productions de Richard Lindner, mais ne fait que de se réjouir de l'enfant sans famille, ce qui témoignerait que la psychanalyse rate ces expériences non-familiales de l'enfant et de l'enfance, selon le philosophe. Cette immense machine branchée à la petite machine de l'enfant court-circuiterait donc les parents. Je pense que ce tableau, qui s'inspire notamment de Fernand Léger, est au contraire une critique de la « machinerie sociale » contemporaine et de sa technicité qui a pour effet de produire une enflure subjective, soit une exaltation moïque, qui s'imagine pouvoir se défaire de ses déterminants, notamment sexuels et familiaux, en se livrant à la science et à son discours. Cette enflure ou boursouflure subjective, narcissique, n'est-elle pas au mieux symbolisée par l'aspect massif et imposant de l'enfant, « his majesty the baby », comme dirait Sigmund Freud ? La représentation de cet enfant, sourire aux lèvres et fixant du regard le spectateur de façon quelque peu dérangeante, ne va-t-elle pas à l'encontre de l'innocence supposée à l'enfance ? L'innocence non pas entendue comme angélisme mais comme lieu nécessairement amoral. Tel n'est pas le cas dans ce tableau qui induit l'idée d'un enfant ayant l'illusion, produite par les machines, de pouvoir maîtriser sa sexualité, son sexe, voire sa sexuation. À quel point cet enfant fait-il corps avec les machines qui l'entourent, et par leur mécanique, déshumanisent son visage ? N'est-il pas déjà lui-même, au moins partiellement, machine ? Là où Gilles Deleuze se réjouit de l'absence des parents, je me demande si les machines ne les ont pas tout simplement remplacés. En continuant dans cet ordre d'idées, je vais jusqu'à douter de ce qui est peint : S'agit-il bel et bien d'un enfant ou d'un adulte, qui n'en est pas réellement un, puisqu'il n'a jamais su se départir de ses fantasmes infantiles de toute puissance, d'auto-engendrement et d'auto-détermination que la technique lui fait miroiter ? Comme un être condamné à demeurer éternellement dans les limbes de l'infantilisme auquel l'innocence aurait été ôtée.






 





Le capitalisme règne parce qu’il est étroitement conjoint avec cette montée de la fonction de la science. Seulement même ce pouvoir, ce pouvoir camouflé, ce pouvoir secret et, il faut bien le dire, aussi anarchique, je veux dire divisé contre lui-même, et ceci sans aucun doute de par son appareillement avec cette montée de la science, il en est aussi embarrassé qu’un poisson d’une pomme maintenant, parce qu’il se passe quand même, du côté de la science, quelque chose qui dépasse ses capacités de maîtrise. Alors ce qu’il

faudrait c’est qu’il y ait au moins un certain nombre de petites têtes qui n’oublient pas ceci, c’est qu’une certaine association permanente est vaine,de la contestation avec des initiatives non contrôlées dans le sens de la révolution. Eh bien ! c’est encore ce qui dans le système, le système capitaliste, peut le mieux le servir.


Jacques Lacan — D'un Autre à l'autre (1969)


Nous vivons à une époque remarquable. Nous constatons à notre plus grand étonnement que le progrès s'est allié à la barbarie.


Sigmund Freud — Moïse et le monothéisme (1939)

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