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Les Alentours du Discours Courant

Il y a une surprenante et agréable analogie entre ce que George Orwell appelait l'esprit gramophone et ce que Jacques Lacan, qui prenait la science fiction au sérieux, désignait comme le discours courant - qu'il pouvait à l'occasion écrire "disque ourscourant".


Pour George Orwell, il suffisait alors qu'un mot ou deux soient évoqués pour qu'automatiquement se mettent en marche, pour certains journalistes (pour ne pas dire la plupart), l'entonnement et la reprise des sempiternels refrains quotidiens (comme un gramophone donc) tout droit empruntés à l'Opinion. Ainsi, ils se font les marionnettes de la Doxa, sans même s'en rendre compte.


Pour Lacan, fin lecteur d'Hegel, cette logique est celle de l'autonomie de la chaîne signifiante, dont il donnera l'aboutissement ultime sous la forme de la théorie des quatre (+1) discours.


Ce n'est pas le sujet qui tient un discours, mais bel et bien le discours qui tient le sujet ; le sujet est tenu par un discours, il en est un effet. Cela est une autre façon de dire que nous sommes davantage parlés que nous ne parlons.


Freud ne l'avait-il pas déjà lui-même souligné avec le concept de répétition ? Il ne s'agit pas ici de la répétition, dans le sens de reproduction d'un "schéma parental" ou d'un "pattern comportemental" (ou autres psychologisations de la psychanalyse) mais bien et bel de celle d'un scénario dont le sujet se fait le pantin, le récitant d'un texte qu'il ignore par cœur, le parolier d'un script inconnu. Voilà ce que le sujet répète, comme on dit qu'un perroquet répète. Le sujet est pris dans la chaîne signifiante ; il est parlé. Là où ça parle, ça jouit, et ça ne sait rien.


D'ailleurs le mot "wierderholung" met bien l'accent sur la répétition liée à la parole, comme un professeur d'allemand demande aux élèves de répéter après lui. Freud avait d'autres verbes que "wierderholen" à sa disposition dans la langue allemande, comme "repetieren" ou "reproduzieren" notamment. La répétition, devrait aussi être entendue comme celle d'un orchestre ou d'un groupe de comédiens qui répéteraient avant la première représentation devant public. Pour le sujet pris dans la "wierderholungzwang" (compulsion de répétition), c'est comme s'il répétait sans cesse un texte (Automaton) sans jamais vouloir être présent, en étant toujours absent, en ratant perpétuellement la représentation (Tuchê). Comme une éternelle mise en scène d'une grande première qui n'aura jamais lieu.


S'il est bien une méthode permettant de se sortir de la Doxa, de l'Opinion, de l’Idéologie ou encore du Discours Courant, c'est la psychanalyse en tant qu'elle est l'héritière de la Dialectique.


Mais qu'est-ce que la Dialectique si ce n'est la suspicion méthodique quant aux mots, aux sophismes, au vocabulaire ... du Discours Courant ?


Plutôt que de s'attarder sur ce que devrait être les choses que désigne le Discours Courant, la Dialectique est une invitation à se confronter sérieusement à la façon particulière dont la langue nous affecte. Il s'agit alors d'un travail par et sur la parole, qui nous traverse, nous parasite.


La Dialectique repose donc sur le principe que le sujet ne sait littéralement pas ce qu'il dit, pour la simple et bonne raison qu'il est dit plus qu'il ne dit.


Ainsi la fameuse formule hegelienne : "Ce qui est bien connu parce qu'il est bien connu, n'est pas connu du tout", nous apparaît dès lors comme une première possibilité d'esquisse de l'Inconscient en opposition à l'ignorance, de laquelle procède le Discours Courant.


L'ignorance, quant à elle, n'est pas un simple manque de connaissances mais la farouche volonté de n'en rien savoir : une action puissante, un refus tenace et opiniâtre de ne pas vouloir apprendre à se lire, élevée à la dignité d'une passion ; alors que l'Inconscient est un savoir qui se dit a l'insu du sujet, et nous invite au déchiffrage, à la lecture donc.


L'on comprend alors mieux pourquoi Lacan disait que la psychanalyse est un remède contre l'ignorance.


S'imaginer être en dehors de toute idéologie en se croyant Maître du Discours, voilà le cœur de l’idéologie contemporaine, du Discours Courant.


Le sujet ne peut pas se passer d'une idéologie mais simplement en remplacer une par une autre.



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