Commentaire au sujet du passage concernant le potlatch de la séance 87 de LACAN, NOUS & LE RÉEL de Christian Dubuis Santini & Isidore Ducan :
Marcel Mauss insiste pour définir le potlatch autour de l'opération don/contre-don : "L'obligation de rendre est tout le potlatch, dans la mesure où il ne consiste pas en pure destruction. Ces destructions, elles, très souvent sacrificielles et bénéficiaires pour les esprits, n'ont pas, semble-t-il, besoin d'être toutes rendues sans conditions, surtout quand elles sont l'œuvre d'un chef supérieur dans le clan ou d'un chef d'un clan déjà reconnu supérieur. Mais normalement le potlatch doit toujours être rendu de façon usuraire et même tout don doit être rendu de façon usuraire. Les taux sont en général de 30 à 100 pour 100 par an. Même si pour un service rendu un sujet reçoit une couverture de son chef, il lui en rendra deux à l'occasion du mariage de la famille du chef, de l'intronisation du fils du chef, etc. Il est vrai que celui-ci à son tour lui redistribuera tous les biens qu'il obtiendra dans les prochains potlatch où les clans opposés lui rendront ses bienfaits. L'obligation de rendre dignement est impérative. On perd la « face » à jamais si on ne rend pas, ou si on ne détruit pas les valeurs équivalentes ..." (1) Les sacrifices et les destructions ne sont pas le tout du potlatch mais sont eux-mêmes inclus dans cet échange, dans cette opération de don/contre-don : "La destruction sacrificielle a précisément pour but d'être une donation qui soit nécessairement rendue. Toutes les formes du potlatch nord-ouest américain
et du nord-est asiatique connaissent ce thème de la destruction. Ce n'est pas seulement pour manifester puissance et richesse et désintéressement qu'on met à mort des esclaves, qu'on brûle des huiles précieuses, qu'on jette des cuivres à la mer, qu'on met même le feu à des maisons princières. C'est aussi pour sacrifier aux esprits et aux dieux, en fait confondus avec leurs incarnations vivantes, les porteurs de leurs titres, leurs alliés initiés." (2)
La pratique du potlatch relève d'une éthique de l'Homme face aux marchandises et à l'accumulation de biens : "Le potlatch est là pour nous témoigner que l'homme a dejà pu avoir, par rapport à cette destinée à l'endroit des biens, ce recul, cette perception, cette perspective possible qui a pu lui faire lier le maintien, la discipline, si l'on peut dire, de son désir en tant qu'il est ce à quoi il a affaire dans son destin, à faire dépendre cette discipline de quelque chose qui se manifestait de façon positive, avouée, avérée comme liée à la destruction comme telle de ce qu'il en est des biens." (3) La sub-stance (sujet) de l'Homme n'est pas dans la matérialité (objets, biens marchandises ...) mais dans la motérialité (dans son rapport à la parole en tant que le désir est désinence du dire).
Sur la côte Ouest des États-Unis et du Canada, le potlatch a été interdit au début du XXème siècle (avant d'être réhabilité vers 1950) car il était perçu comme une pratique barbare et dépravée. Si de nos jours le potlatch n'est plus pratiqué sciemment par l'Homme, cela ne changerait a priori rien aux structures symboliques qui le gouvernent (compulsion de répétition, pulsion de mort, autonomie de la chaîne signifiante). Il y a toujours un prix à payer à vouloir quitter la motérialité pour la matérialité. Pensons à Shakespeare et au Marchand de Venise. Les catastrophes telles que celles de Los Angeles pourraient être perçues comme une forme de potlatch gigantesque et symptomatique (et non plus de prestige) du sacrifice de l'excédent de richesse car : "le potlatch, dans notre discours, nous est devenu complètement étranger. Ce qui n'est pas étonnant que dans notre nostalgie nous en faisons ce qui supporte l'impossible, à savoir le Réel. Mais justement, le Réel comme impossible." (4)
L'obligation de rendre est le fondement et la raison d'être du potlatch. Comment peut-on soutenir que les catastrophes de Los Angeles sont de l'ordre d'un potlatch puisqu'à notre époque il ne s'agit aucunement de don/contre-don mais bel et bien d'accumulation (le mot même de capital l'indique suffisamment) ? À notre époque, et l'inversion systematique des valeurs qui la caractérise, l'obligation de rendre semble avoir été substituée par l'obligation de prendre, d'accumuler. Fata ducunt volentem, trahunt nolentem est une autre façon de dire que ce qui est forclos du Symbolique revient dans le Réel. Les Dieux du Potlatch (les structures symboliques, les lois qui règlementent la distribution et la circulation des objets et donc de la jouissance) avaient affaire à des hommes qui leur donnaient et auxquels, donc, ils rendaient ; ce qui formait une toute autre tessiture et texture sociale (solidarité, compétitivité réciprocité, générosité...). Les Dieux du capitalisme ne sont pas bien différents des Dieux du Potlatch : ils attendent que les hommes leur donnent (sacrifient) l'excédent de biens (marchandises) mais comme ce don n'arrive jamais, ils se servent, tout aussi simplement que brutalement (surgissement du Réel comme impossible à Symboliser : catastrophe). L'Autre du discours capitaliste veut notre Bien (accumulation de richesse, de biens, de marchandises...).L'Autre du discours capitaliste veut notre Bien (il nous en prive violemment ...). Le don/contre-don du potlatch traditionnel aurait donc sa nuance moderne dans la formule accumulation/privation. Faut-il ajouter pour conclure que de nos jours, l'Homme lui-même se confond de plus en plus avec les objets, les biens, les marchandises et qu'il est bien souvent considéré comme surnuméraire, excédentaire ... ?

1) 2) Marcel Mauss — Essai sur le don (1925)
3) Jacques Lacan — L'éthique ... (1960)
4) Jacques Lacan — ... ou Pire (1972)

Il y a quelques jours le Journal du Dimanche faisait paraître un sondage d'opinion des plus intéressants. Ce sondage fut bien évidemment accompagné de son petit commentaire : "76% des Français affirment qu'il n'y a que deux sexes (masculin et féminin), ce en quoi ils sont d'accord avec l'idée de Donald Trump." Le bon mot du film Dirty Harry de Clint Eastwood nous revient alors à l'esprit : "Opinions are like assholes, everyone has one ..." que nous completerions volontiers par : "... et c'est bien ce qui rend possible leur sondage !"
Le sujet ne se situe donc pas tant dans les chiffres récoltés mais plutôt dans cette astuce, toute idéologique, qui consiste à faire passer la réalité fondatrice de l'espèce humaine — à savoir qu'elle se divise en deux sexes — pour une opinion. C'est-à-dire une proposition avec laquelle on peut être d'accord ou pas, pour ou contre, anti ou pro. Ça se discute ! À noter aussi que le Journal du Dimanche a pris soin de préciser les deux sexes en question (masculin et féminin) au cas où certains auraient pu songer à d'autres sexes que les deux seuls qui existent. Ce n'est pas suffisant de faire passer cette réalité pour une opinion, de la dégrader au rang d'une opinion, il faut aussi y associer le nom du très douteux Donald Trump qui depuis 2017 au moins est l'épouvantail médiatique occidental numéro 1 et le plouc-émissaire préféré des mutins de panurge. Trois quart des Français auraient quelque chose de Donald Trump en eux ... Micro-fascisme ? Allons Français ! Encore un effort si vous voulez être progressistes ! Ne peut-on pas deviner que ce qui est à l'œuvre dans la publication de ce sondage d'opinion, et davantage encore dans le fait même que le Président des États-Unis doive en passer par cette déclaration des plus inouïes, est tout un travail de sape idéologique qui remonte au moins aux années 1960 ? ... Pourquoi les années 1960 ?
Ce sondage d'opinion et sa publication tombent pile poil l'année du centenaire d'un certain Gilles Deleuze. L'occasion est belle de répondre à la provocante prédiction de son ami Michel Foucault : "Longtemps, je crois, cette œuvre tournera au-dessus de nos têtes ... mais un jour, peut-être, le siècle sera Deleuzien."(1) Et si Michel Foucault avait eu raison ? Il ne parlait pas du siècle comme d'une durée de cent ans mais utilisait ce mot dans son sens littéraire qui désigne une vie ou une activité profane en opposition avec le domaine religieux ou spirituel. Ce tournoiment au-dessus de nos têtes de l'œuvre deleuzienne signifie que Michel Foucault considérait, juste après Mai 68, les idées du philosophe comme hautement spirituelles, voire sacrées, mais qu'elles étaient destinées à s'incarner, à s'enraciner, devenir terrestres et peut-être même à être pratiquées, expérimentées par le quidam qui serait alors deleuzien sans même s'en rendre compte.
À bien des égards la prédiction foucaldienne est une prophétie. À ne prendre que le domaine de l'art, et plus particulièrement celui du cinéma, on ne compte plus les références directes à Gilles Deleuze. Il y a même une anthropologie, une théorie des sciences, une biologie, un féminisme et (comble de l'absurde) une psychanalyse deleuzienne (ce qui a de quoi hérisser les psychanalystes et les deleuziens). Le sondage d'opinion mis en exergue n'est ici évidemment qu'une goutte d'eau dans l'océan des mille plateaux médiatiques tous convertis depuis longtemps aux propositions deleuziennes les plus massives. Et l'une d'entre elles est celle où le professeur en philosophie affirme, avec une audace déconcertante, qu'avant lui personne n'avait compris ce qu'était le désir. Ce qui, au passage, fait quand même beaucoup de penseurs, de religieux, d'écrivains, de philosophes, de métaphysiciens et, aussi, quelques psychanalystes. Avec son comparse Félix Guattari, Gilles Deleuze, enthousiasmé par les mouvements libertaires (et libéraux) de Mai 68 proposait rien de moins qu'une révolution, mais pas n'importe laquelle, une révolution du désir (!) qu'il voulait voir s'incarner dans sa fameuse schizo-analyse : pratique qui serait en tous points opposée à la psychanalyse.
C'est sans surprise dans le premier opus de sa charge anti-psychanalytique que l'on peut lire cette ligne fondatrice de la schizo-analyse et à laquelle l'actualité donne bien des échos et des reliefs : "La formule schizo-analytique de la révolution désirante sera d'abord : à chacun ses sexes." (2) Gilles Deleuze et Félix Guattari sont les forgeurs, en France, de cette multiplicité de sexes (n sexes), mais aussi, affirmant qu'ils se soutenaient de Karl Marx, du sexe non-humain. Quitte à trahir le mot d'ordre lacanien (3) — qui était motus au sujet de Gilles Deleuze — ces propositions et d'autres seront discutées dans des textes, des audio ou vidéo que je publierai à raison d'une fois par mois jusqu'en Février 2026, sous l'équivoque titre "100 Deleuze" ...
Sources bibliographiques :
(1) Michel Foucault —《 Theatrum Philosophicum 》(1970)
(2) Gilles Deleuze & Félix Guattari — 《 Anti-Œdipe 》(1972)
(3) François Dosse —《 Gilles Deleuze, Félix Guattari 》(2010)
Ces gestes, ces paroles, ces symboles ... qui font tous l'objet d'une hâte interprétative qui n'a rien à envier au réflexe pavlovien semblent ne démontrer qu'une seule chose : l'Occident, et l'Europe particulièrement, n'ont toujours pas assimilé, n'ont toujours pas digéré, n'ont toujours pas dépassé les atrocités de 1939-1945.
L'Europe, et les âmes qui la peuplent, sont toujours hantés par leur récent passé qui, décidément, ne passe pas. Hurler au loup, c'est-à-dire percevoir du nazisme, du fascisme ... partout sauf là où ils se trouvent réellement relève du pathologique, de l'obsession générée par un deuil jamais entamé et qui parfois, et même souvent, vire à l'hallucination et au délire. Prédire le pire qui nous attend tous, sentir la catastrophe qui n'épargnera personne, être à ce point exalté par les divinations morbides ... ne peut être que le signe de l'impuissance à se défaire, à se séparer, ne serait-ce qu'un peu, de son histoire, de l'Histoire. Pour paraphraser Donald Winnicott, la crainte d'un effondrement à venir n'est que la remémoration de l'effondrement qui a déjà eu lieu. Un psychanalyste ne devrait jamais oublier cela.
Une observation intéressante : depuis ces accusations Elon Musk est vexé comme un poux d'être qualifié de nazi ou de fasciste et se met même à écrire en latin (Nemo me impune lacessit). La moindre des choses pour un nazi ou un fasciste serait, tout de même, de s'assumer, surtout quand il est au sommet de sa gloire. Musk demeure tout de même celui qui implante déjà des puces dans des cerveaux humains (Neuralink) pour créer une interface entre l'Homme et l'ordinateur et qui a pour dessein la fusion entre l'Homme et l'intelligence artificielle (il le dit sans détour aucun). Le qualificatif le plus précis pour le désigner n'est ni nazi, ni fasciste mais simplement transhumaniste. Il serait le nom de la nuance de droite (?) du transhumanisme en marche.
▪︎ Elon Musk & Jacques Lacan : le transhumanisme, l'amour et la psychanalyse (2020)
Il semblerait que le cerveau soit l'organe de prédilection des transhumanistes conservateurs quand l'appareil génital est celui des transhumanistes progressistes.
▪︎ Petite Fille ? La Fabrique Transgenre (2021)
▪︎ Petite Fille ? D'un Trans à l'Autre (2022)
Je considère que le transhumanisme est une forme de totalitarisme, c'est-à-dire une tentative de saisir le tout de l'Homme, soit nécessairement de le réduire et en l'occurrence à un substrat neuronique agrémenté d'un outillage informatique (quitte à vouloir le faire passer, ironiquement, pour un Homme augmenté).
Quelques mots maintenant sur la photographie qui date de 2010/2011 où les plus observateurs arriveront à m'identifier :
Quand j'étais plus jeune que je ne le suis aujourd'hui, j'effectuais, quasiment chaque dimanche, et ce pendant des années, en compagnie de mes camarades, ce geste si caractéristique du bras tendu pour supporter l'équipe de ma ville. Ce geste est présent dans tous les stades d'Europe et certainement du monde. En France, il s'agit du fameux 《 Aux Armes 》. En plus de ce geste, nous avions très fréquemment des mots que la doxa qualifierait volontiers d'homophobe pour décorer les joueurs et les supporteurs de l'équipe adverse. La psychanalyse n'est pas une herméneutique et nous apprend que l'interprétation ne délivre pas une signification au sujet mais, en ne perdant pas de vue, et surtout de l'ouïe, la logique du signifiant, délivre le sujet de la signification.
