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  • Rudy Goubet Bodart
  • Sep 1

SiGMUND FREUD - LA TÊTE DE MÈDUSE (1922)



Nous n'avons pas souvent tenté l'interprétation de figures mythologiques individuelles. Pour la tête coupée de la Méduse, qui provoque l'horreur, cette interprétation est à portée de main. Décapiter = castrer. L'effroi devant la Méduse est donc effroi de la castration, rattaché à quelque chose qu'on voit. Nous connaissons cette circonstance par de nombreuses analyses, elle se produit lorsque le garçon, qui jusque-là ne voulait pas croire à la menace, aperçoit un organe adulte, entouré d'une chevelure de poils, fondamentalement de la mère. Si les cheveux de la tête de Méduse sont si souvent figurés par l'art comme des serpents, c'est que ceux-ci proviennent à leur tour du complexe de castration et, chose remarquable, si effroyables qu'ils soient en eux-mêmes, ils servent pourtant en fait à atténuer l'horreur, car ils se substituent au pénis dont l'absence est la cause de l'horreur. Une règle technique - multiplication du symbole du pénis signifie castration - est ici confirmée.


La vue de la tête de Méduse rend rigide d'effroi, change le spectateur en pierre. Même origine tirée du complexe de castration et même changement d'affect. Car devenir rigide signifie érection, donc, dans la situation originelle, consolation apportée au spectateur. Il a encore un pénis, il s'en assure en devenant lui-même rigide. Ce symbole de l'horreur est porté par la déesse vierge Athena sur son costume. Avec raison, car elle devient par là une femme inapprochable qui repousse toute concupiscence sexuelle. N'exhibe-t-elle pas l'organe génital de la mère, qui provoque l'effroi? Les Grecs, avec leur homosexualité généralement forte, ne pouvaient manquer de posséder une figuration de la femme qui repousse, et provoque l'effroi de par sa castration.


Si la tête de Méduse se substitue à la figuration de l'organe génital féminin, ou plutôt si elle isole son effet excitant l'horreur de son effet excitant le plaisir, on peut se rappeler que l'exhibition des organes génitaux est encore connue par ailleurs comme acte apotropique. Ce qui, pour soi-même, excite l'horreur, produira aussi le même effet sur l'ennemi qu'il faut repousser. Chez Rabelais, encore, le diable prend la fuite après que la femme lui ait montré sa vulve. Le membre viril érigé sert lui aussi d'apotropaion mais en vertu d'un autre mécanisme.

L'exhibition du pénis - et de tous ses succédanés - veut dire : je n'ai pas peur de toi, je te défie, j'ai un pénis. C'est donc une autre voie pour intimider l'esprit malin. Reste que pour soutenir sérieusement cette interprétation on devrait suivre la genèse de ce symbole d'horreur isolé, dans la mythologie des Grecs, ainsi que ses parallèles dans d'autres mythologies.

  • Rudy Goubet Bodart
  • Aug 29



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PARALLÈLES MYTHOLOGIQUES À UNE REPRÉSENTATION OBSESSIONNELLE PLASTIQUE (1916)¹


Chez un de mes malades âgé de vingt et un ans environ, les produits du travail cogitatif inconscient ne se manifestent pas seulement à la conscience sous forme de pensées obsessionnelles, mais encore d'images obsessionnelles. Pensées et images peuvent survenir ensemble ou bien apparaître indépendamment les unes des autres. Chez ce malade, pendant un temps, un mot et une image obsessionnels s'imposaient en liaison étroite chaque fois qu'il voyait son père entrer dans la chambre. Le mot était Vaterarsch² ; l'image qui accompagnait ce mot représentait le père sous la forme de la partie inférieure d'un corps nu, munie de bras et de jambes, et à laquelle manquait la tête et le haut du corps. Les organes génitaux n'étaient pas indiqués, les traits du visage étaient peints sur le ventre. Il faut tenir compte, pour expliquer la formation d'un symptôme d'une aussi rare absurdité, de ce que ce jeune homme, par ailleurs d'un développement intellectuel achevé et animé moralement de hautes ambitions, s'était abandonné jusqu'à sa dixième année à des pratiques actives d'érotisme anal, sous les formes les plus diverses. Après qu'il eut surmonté ce stade, sa vie sexuelle fut ramenée à ce premier stade de par la lutte ultérieure contre l'érotisme génital. Il aimait et respectait beaucoup son père, il le craignait aussi passablement. Mais, par rapport à l'idéal de répression des instincts et d'ascétisme qu'il s'était proposé, son père lui semblait être le représentant de l'intempérance et de la sensualité, et visant les jouissances matérielles.


Le mot Vaterarsch se révéla bientôt comme étant une germanisation malicieuse du noble titre de « patriarche ». L'image obsessionnelle est une caricature notoire. Elle fait penser à d'autres représentations qui, dans une intention ravalante, remplacent la personne entière par un seul organe, par exemple par les organes génitaux, ou bien à des fantasmes inconscients conduisant à l'identification de l'être entier à ses parties génitales, ou encore à des manières de parler plaisantes comme lorsqu'on dit : « Je suis tout oreilles. »


Tout d'abord, l'application des traits du visage sur le ventre de la caricature me parut très étrange, mais, bientôt, je me souvins avoir vu chose semblable dans des caricatures françaises³. Puis le hasard me fit tomber sous la main une figuration antique qui correspond exactement à l'image obsessionnelle de mon patient. D'après la mythologie grecque, Déméter, à la recherche de sa fille enlevée, arriva à Éleusis et fut reçue par Dysaules et sa femme Baubo, mais, dans son deuil profond, elle refusa nourriture et boisson. Alors, en relevant subitement sa robe et découvrant son ventre, l'hôtesse Baubo la fit rire. La discussion de cette anecdote, qui doit probablement fournir une explication à un cérémonial magique lequel n'est plus compris, se trouve dans le ive volume de l'ouvrage de Salomon Reinach, Cultes, Mythes et Religions (1912). Là, est encore mentionné que, dans les fouilles de Priène, en Asie Mineure, on découvrit des terres cuites représentant Baubo. Elles figurent un corps de femme sans tête ni poitrine, sur le ventre de laquelle un visage est tracé ; la robe relevée entoure cette sorte de visage comme une couronne de cheveux⁴.



1• A paru d'abord dans Internationale Zeitschrift für ärztliche Psychoanalyse, IV (1916), ensuite dans la quatrième série de la Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre.


2• Mot difficile à traduire en français, on pourrait dire : cul paternel. (N. D. T.)


3• Voyez « l'indécente Albion », caricature de Jean Weber sur l'Angleterre en 1901, dans Édouard Fuchs : Das erotische Element in der Karikatur, 1904. (L'élément érotique dans la caricature.)

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4• Salomon Reinach, loc. cit., p. 117.






En 1957, lors de son séminaire « La relation d'objet », Jacques Lacan invitait son auditoire à la lecture des romans de Françoise Sagan qui présentaient, selon Alexandre Kojève lui-même qui en a fait une critique, le dernier monde nouveau où l'homme, dans son sens viril, n'existe tout simplement plus. Ce qui a les conséquences les plus fâcheuses pour les femmes elles-mêmes :


« Ceci ne manquera pas de vous instruire, et comme on dit : « ça ne vous fera pas de mal », vous ne risquerez rien. Le psychanalyste ne se recrute pas parmi ceux qui se livrent tout entier aux fluctuations de la mode en matière psycho-sexuelle. Vous êtes trop bien orientés, si je puis dire, pour cela, voire même avec un rien de « fort en thème » en cette matière.Ceci en effet, peut vous faire entrer dans une espèce de bain d’actualité de l’activation de la perspective pour ce qui est de ce que vous faites et que vous devez être prêts à entendre quelquefois de vos patients eux-mêmes. »


À noter l'optimisme de Jacques Lacan qui en 1957, avait encore suffisamment fois dans les psychanalystes et ne s'imaginait pas qu'ils puissent se laisser prendre aux modes psycho-sexuelles. Que dirait-il aujourd'hui en voyant que mêmes ses « gendres » font genre ?


Un extrait de la critique d'Alexandre Kojève :


« Pendant des millénaires, les hommes "prenaient" les filles. Puis la mode vint, pour celles ci, de " se donner ". Mais est-ce la faute aux filles si, dans un monde nouveau, sans héroisme mâle, elles ne peuvent plus être ni "données" ni "prises", mais doivent bon gré mal gré se contenter de se laisser faire ? N'est-ce pas en tout cas préférable que, dans ces conditions, elles le fassent, autant que possible, avec la meilleure grâce et volonté d'un monde, où nous la sommes tous désormais obligés de vivre, du moins tant que notre propre mort ne nous dira rien? A quoi servirait, d'ailleurs, d'envoyer ces gracieuses, mais volontaires "Amazones" soit dans des couvents (comme semblent le souhaiter certains, sans, jamais oser dire), soit chez d'autres guérisseurs professionnels subtils des âmes présumées meurtries (comme on se permet parfois de le suggérer, sous le prétexte fallacieux que les filles en question ne sont pas "vraiment heureuses", mais bien entendu, sans s'offrir pour supporter les frais, fort élevés d'ailleurs, du prétendu assainissement moral)? En supposant ces filles "normalisées", au point de pouvoir être parfaitement "heureuses" en se comportant en "vraies femmes", trouveraient-elles les véritables hommes qu'il leur faudrait alors, dans un monde où l'akmé de la puissance du mâle est désormais situé dans l'activité pacifique et laborieuse (bien que dûment motorisée) ď'un époux fécond ? »

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