Un homme qui depuis des mois se prend pour un grain de maïs est emmené de toute urgence, et de force, par ses proches à l'hôpital psychiatrique.
Les professionnels de la santé mentale (infirmières, psychologues, psychiatres ...) font de leur mieux, et ce durant des semaines et des semaines, pour convaincre le brave homme qu'il n'est pas un grain de maïs mais bel et bien un homme.
Après un temps certain, les efforts de l'équipe soignante portent leurs fruits et finissent même par payer : l'homme ne s'imagine plus être un grain de maïs et affirme, bien volontiers, être un homme.
Les portes de l'hôpital psychiatrique s'ouvrent et après avoir recouvré la santé c'est la liberté qu'il retrouve.
Mais à peine quelques heures après son départ le voilà qu'il déboule à l'hôpital, angoissé comme jamais, suite à une rencontre inopinée avec un coq :
— Monsieur le psychiatre ! Le coq va me dévorer ! Il va me dévorer ! Vous comprenez ce que je vous dis ?!
— Mais non, mais non ... il ne va pas vous dévorer, voyons ! Dorénavant vous savez bien que vous êtes un homme et non pas un grain de maïs ...
— Oui ! Je le sais, je le sais ... mais le coq, lui, le sait-il ?
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Je pense enfin avoir quelque peu saisi pourquoi Jacques Lacan affirmait que le seul affect véritable est, en réalité, le langage lui-même, en ce que l'Homme, comme créature intégralement gouverné par le Symbolique est primordialement et originairement affecté par le signifiant.
Lorsque l'on vit à l'étranger, c'est-à-dire là où notre langue maternelle ne sévit pas, il y a comme une espèce de relâchement inconscient de la vigilance ou de l'attention quant au bla-bla, à la rumeur, aux discussions de café ... précisément parce que ça parle dans une autre langue, une langue qui ne nous maîtrise pas autant, que notre langue maternelle : ça parle, donc, mais le sujet n'est pas concerné, n'est pas appelé, n'est pas happé.
De retour en France, j'ai été surpris d'être facilement pris par les conversations d'inconnus dans le train, au restaurant ... tout simplement parce que le sens auquel j'échappe en mandarin (et de moins en moins en anglais) y est en plein : c'est plein de sens, rempli de sens ! Parfois peut-être même trop ... En guise d'exemple, mes oreilles ont intercepté, à Paris, cette dithyrambique tirade d'un homme qui voulait convaincre son auditeur (plus qu'interlocuteur) des qualités qu'il supposait à l'actuel président de la République duquel il ventait les mérites, les qualités, la générosité ... jusqu'à dire, et faire un beau lapsus, que l'énarque avait la main sur le cœur (il voulait bien entendu dire : « le cœur sur la main »). Avec ce lapsus à l'appui, il ne fait aucun doute que cet homme parlait au moins de lui ...
Une autre déclinaison de cette affectation au/du langage est lorsque l'on a la chance de visiter son pays avec des étrangers il est aisé de remarquer qu'ils rient pour tout, de tout ... sauf des blagues ! — ce qui est bien entendu aussi mon cas quand j'occupe la place de l'étranger, du touriste — les blagues, les traits d'esprit ... soit ce qui fait le sel et la quintessence mêmes d'une langue, ce que Jacques Lacan appelait le(s) nom(s) du père : un signifiant qui ne signifie rien et à partir duquel toutes les significations et les jeux combinatoires d'une langue sont possibles.
Le travail d'Éric Marty est remarquable et démontre comment la pensée du neutre existait déjà chez ce qu'il appelle les Modernes (Deleuze, Foucault, Lacan, Barthes ...) et comment celle-ci a été dévoyée par Judith Pamela Butler qui, cela est connu, prend bien souvent ses aises avec les concepts philosophiques et psychanalytiques pour, au final, leur faire dire l'inverse de ce qu'ils signifient.
La seule critique que je pourrais faire à Éric Marty, mais qui n'en est pas réellement une, est qu'il n'occupe pas la fonction de psychanalyste et c'est peut-être ce qui lui fait rater la catégorie du performatif (ou performativité) chez Jacques Lacan que je localise dans le discours capitaliste.
Et c'est certainement cela qui lui fait conclure son excellent ouvrage de cette façon :
« L'hypernominalisme du phénomène trans, cette revendication effrénée du nom (du nom femme/homme), nous propose une perspective inverse, avec le risque d'être récupéré à son tour par un plus vaste processus, celui du transhumain, ce grand projet ultralibéral du XXI e siècle et d'y disparaître : corps cyborg, corps soumis aux milieux de vie chimiques, cybernétiques, technologiques, devenus coextensif à nos vies, comme accomplissement d'un biopouvoir déjà présent en chacun de nous. Et qui nous attend, loin du genre. Quel qu'il soit. »
Éric Marty est contraint de recourir à ce qu'il nomme « hypernominalisme » parce qu'il ne connaît pas la théorie des quatre discours (+1) de Jacques Lacan où le discours capitaliste fait croire au sujet qu'il n'est plus l'effet du signifiant mais en est bel et bien le maître.
La subjectivité contemporaine a alors à sa charge sa propre nomination, ce que Jacques Lacan appelait les « nommés-à » ... ce qui ne va pas sans culpabilité et besoin de punition, et qui peut aller jusqu'à la mutilation chirurgicale, cautionnée, elle, par le discours courant sous couvert de progressisme et de défense des minorités.
Je remarque avec plaisir, au passage, que je ne suis pas le seul à faire le lien entre transgenrisme et transhumanisme — d'ailleurs, beaucoup de critiques (bien souvent sous forme d'injures) m'ont été adressées mais absolument rien au sujet de ce lien qui est le nœud de mon travail où je développe l'idée que le transgenrisme est déjà du transhumanisme.
Aussi, Éric Marty se penche davantage sur la filiation Foucault-Butler (filiation trahie, comme il se doit, par l'universitaire américaine) en oubliant l'extrême proximité entre la pensée de Michel Foucault et de Gilles Deleuze, celui-ci parlait déjà dans les années 80 de « machines désirantes », de « n sexes », du « devenir-minoritaire », de « corps sans organes », en précisant bien qu'il ne s'agissait pas de métaphores !
Affaire à suivre ...