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ELON MUSK & JACQUES LACAN — LE TRANSHUMANISME, L'AMOUR ET LA PSYCHANALYSE

« Pour moi la seule science vraie, sérieuse, à suivre, c'est la science-fiction » — Jacques Lacan


Elon Musk veut produire un dispositif informatique sur lequel serait directement connecté notre cerveau, et ainsi connecter ensemble tous les autres cerveaux également reliés à ce même dispositif : Neuralink.


Cela n'est pas une utopie puisque nous savons que déjà avant qu'il ne meurt Stephen Hawking devait simplement penser à faire bouger son fauteuil roulant pour que celui-ci entre en mouvement.


Cela est bien entendu motivé, comme toujours, par des desseins philantrophiques, voire messianiques, puisque le but serait de rendre la vue aux aveugles, l'usage de leur jambes aux paralysés, soigner la dépression, supprimer la peur ...


L'étape suivante est bien entendu de pouvoir partager « directement » nos expériences avec les autres : nous pensons à quelque chose et les autres peuvent y participer.


Ainsi nous pourrions par exemple enregistrer et stocker nos expériences sexuelles pour pouvoir en profiter ultérieurement encore une ou plusieurs fois, et même, pourquoi pas, les partager avec nos amis, si nous ne sommes pas trop timides.


Il y a bien entendu plusieurs remarques à faire ici :


Comment nos pensées pourraient-elles être directement partagées sans la médiation du langage ?


Il n'existe pas de pensée hors langage. Au moment où nous pensons nous le faisons avec les mots. Le mot n'est pas un obstacle que nous pourrions contourner pour atteindre la « pensée pure ».


D'une façon générale, nous pourrions dire qu'il conviendrait toujours de se méfier lorsque nous percevons un élément comme faisant ou étant un obstacle à une supposée perfection ou pureté, puisque c'est toujours de l'obstacle lui-même que l'idée de perfection ou du pureté prend sa genèse.


Le langage est bien sûr un « médiateur insatisfaisant » comme nous pouvons le constater lorsque nous disons à la personne que nous aimons « Je t'aime » cela nous apparaît bien souvent comme une phrase insipide loin de nos sensations, de notre « richesse intérieure » et que des millions de personnes usent quotidiennement. Cela dit, il ne faudrait jamais tomber dans l'illusion qu'un jour nous pourrions nous passer de cette banale formulation pour avoir un accès direct à nos sensations.


Nous ne communiquons jamais directement. Il y a toujours eu du langage, puis l'écriture, puis Internet ... Le progrès technique ne fait paradoxalement qu'ajouter des couches et produit plus d'intermédiaire.


Au sujet de l'obstacle du langage, nous pourrions imaginer l'exemple d'un homme qui déclare sa flamme à la femme qu'il aime : il bafouille, bien qu'il se soit préparé de longues heures.


N'y-a-t-il pas dans ce bafouillage — qui pourrait être lu comme une forme ratée — c'est-à-dire dans l'impossibilité de transmettre un message où la communication échoue donc, quelque chose du « grain de sable de l'énonciation » qui se manifeste sous cette forme même de ratage ? Dans l'impossibilité même du langage à s'égaler lui-même, à se boucler, le Réel du signifiant (signifiance) apparaît — Le signifiant ne pouvant se signifier lui-même.


L'obstacle inhérent, intrinsèque au langage lui-même à pouvoir communiquer ou transmettre un message en dit toujours à la fois plus et moins que le message qu'il voulait communiquer — comme en témoignent l'oubli, le lapsus ...


Pourquoi à la fois moins et plus ? Moins (-) puisque le message lui-même dans son contenu est diminué et n'est pas fidèle à ce que le sujet voulait dire. Nous pourrions dire que du point de vue de l'énoncé, du contenu du message, il y a eu réduction, un retranchement, et pourquoi pas un échec. Plus (+) aussi dans le sens d'un excès, voire d'un excédent au niveau-même de l'énonciation qui vient se «sur-ajouter» à l'énoncé, le dépasse, et faire dire au sujet plus que son « simple » dit ne lui aurait permis. Cela précisément parce que le dire (énonciation) se présente sous forme d'un obstacle au dit (énoncé), et même comme une impossibilité à dire — Impossible de dire sans se contredire.


Cet obstacle est « le grain de sable de l'énonciation » et démontre que le langage n'a pas seulement pour fonction de transmettre un message (communication) puisque avant même de signifier quelque chose le langage signifie pour quelqu'un (primauté du signifiant). Il s'agit de sa puissance évocatrice et de sa fonction symbolique. Autrement dit, dans l'exemple susmentionné, c'est seulement par le ratage, soit ici dans le bafouillage ou la maladresse, que quelque chose d'un « amour authentique » peut se transmettre, se manifester. Il serait en effet tout à fait étrange si cet homme était capable de prononcer sereinement et calmement une déclaration d'amour parfaite.


Lorsque nous voulons dire quelque chose et que nous échouons c'est paradoxalement dans cet échec même que nous réussissons — un acte manqué pour la conscience est un acte réussi pour l'Inconscient.


Ce qui est problématique avec Neuralink ce n'est pas tant la possibilité de partager nos sensations alors décryptées par le dispositif informatique mais plutôt l'inverse : est-ce qu'il est possible de recevoir des ordres de ce dispositif ? Et serions-nous conscients de recevoir ces ordres ?


Les expérimentations faites sur les rats — dont les mouvements basiques sont désormais contrôlables à distance par la « pensée » humaine, ou plutôt son reliquat neurologique — suggèrent que si cela se transposait à l'homme, celui-ci ne le saurait pas, c'est-à-dire qu'il ne serait pas conscient de recevoir des ordres et vivrait ses choix comme étant le produit de son « libre arbitre ».


Bien qu'une certaine philosophie, dont la psychanalyse s'est faite l'héritière originale, ait déjà battu en brèche, il y a déjà des siecles, l'idée d'un « libre arbitre » n'y aurait-il pas avec cette invention, Neuralink, l'impossibilité même du mouvement spinozien faisant de la liberté l'intellection de la nécessité ?


Toute libération présupposant une réconciliation avec notre aliénation, comment, avec un tel dispositif, pourrait-on éprouver nos (sur) déterminations ? Comment se libérer d'une prison sans savoir où sont les barreaux ?


« Nul n'est plus esclave que celui qui se croit libre »


Johann Wolfgang von Gœthe

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