top of page
  • Rudy Goubet Bodart
  • Feb 5


Il y a quelques jours le Journal du Dimanche faisait paraître un sondage d'opinion des plus intéressants. Ce sondage fut bien évidemment accompagné de son petit commentaire : "76% des Français affirment qu'il n'y a que deux sexes (masculin et féminin), ce en quoi ils sont d'accord avec l'idée de Donald Trump." Le bon mot du film Dirty Harry de Clint Eastwood nous revient alors à l'esprit : "Opinions are like assholes, everyone has one ..." que nous completerions volontiers par : "... et c'est bien ce qui rend possible leur sondage !"


Le sujet ne se situe donc pas tant dans les chiffres récoltés mais plutôt dans cette astuce, toute idéologique, qui consiste à faire passer la réalité fondatrice de l'espèce humaine — à savoir qu'elle se divise en deux sexes — pour une opinion. C'est-à-dire une proposition avec laquelle on peut être d'accord ou pas, pour ou contre, anti ou pro. Ça se discute ! À noter aussi que le Journal du Dimanche a pris soin de préciser les deux sexes en question (masculin et féminin) au cas où certains auraient pu songer à d'autres sexes que les deux seuls qui existent. Ce n'est pas suffisant de faire passer cette réalité pour une opinion, de la dégrader au rang d'une opinion, il faut aussi y associer le nom du très douteux Donald Trump qui depuis 2017 au moins est l'épouvantail médiatique occidental numéro 1 et le plouc-émissaire préféré des mutins de panurge. Trois quart des Français auraient quelque chose de Donald Trump en eux ... Micro-fascisme ? Allons Français ! Encore un effort si vous voulez être progressistes ! Ne peut-on pas deviner que ce qui est à l'œuvre dans la publication de ce sondage d'opinion, et davantage encore dans le fait même que le Président des États-Unis doive en passer par cette déclaration des plus inouïes, est tout un travail de sape idéologique qui remonte au moins aux années 1960 ? ... Pourquoi les années 1960 ?


Ce sondage d'opinion et sa publication tombent pile poil l'année du centenaire d'un certain Gilles Deleuze. L'occasion est belle de répondre à la provocante prédiction de son ami Michel Foucault : "Longtemps, je crois, cette œuvre tournera au-dessus de nos têtes ... mais un jour, peut-être, le siècle sera Deleuzien."(1) Et si Michel Foucault avait eu raison ? Il ne parlait pas du siècle comme d'une durée de cent ans mais utilisait ce mot dans son sens littéraire qui désigne une vie ou une activité profane en opposition avec le domaine religieux ou spirituel. Ce tournoiment au-dessus de nos têtes de l'œuvre deleuzienne signifie que Michel Foucault considérait, juste après Mai 68, les idées du philosophe comme hautement spirituelles, voire sacrées, mais qu'elles étaient destinées à s'incarner, à s'enraciner, devenir terrestres et peut-être même à être pratiquées, expérimentées par le quidam qui serait alors deleuzien sans même s'en rendre compte.


À bien des égards la prédiction foucaldienne est une prophétie. À ne prendre que le domaine de l'art, et plus particulièrement celui du cinéma, on ne compte plus les références directes à Gilles Deleuze. Il y a même une anthropologie, une théorie des sciences, une biologie, un féminisme et (comble de l'absurde) une psychanalyse deleuzienne (ce qui a de quoi hérisser les psychanalystes et les deleuziens). Le sondage d'opinion mis en exergue n'est ici évidemment qu'une goutte d'eau dans l'océan des mille plateaux médiatiques tous convertis depuis longtemps aux propositions deleuziennes les plus massives. Et l'une d'entre elles est celle où le professeur en philosophie affirme, avec une audace déconcertante, qu'avant lui personne n'avait compris ce qu'était le désir. Ce qui, au passage, fait quand même beaucoup de penseurs, de religieux, d'écrivains, de philosophes, de métaphysiciens et, aussi, quelques psychanalystes. Avec son comparse Félix Guattari, Gilles Deleuze, enthousiasmé par les mouvements libertaires (et libéraux) de Mai 68 proposait rien de moins qu'une révolution, mais pas n'importe laquelle, une révolution du désir (!) qu'il voulait voir s'incarner dans sa fameuse schizo-analyse : pratique qui serait en tous points opposée à la psychanalyse.


C'est sans surprise dans le premier opus de sa charge anti-psychanalytique que l'on peut lire cette ligne fondatrice de la schizo-analyse et à laquelle l'actualité donne bien des échos et des reliefs : "La formule schizo-analytique de la révolution désirante sera d'abord : à chacun ses sexes." (2) Gilles Deleuze et Félix Guattari sont les forgeurs, en France, de cette multiplicité de sexes (n sexes), mais aussi, affirmant qu'ils se soutenaient de Karl Marx, du sexe non-humain. Quitte à trahir le mot d'ordre lacanien (3) — qui était motus au sujet de Gilles Deleuze — ces propositions et d'autres seront discutées dans des textes, des audio ou vidéo que je publierai à raison d'une fois par mois jusqu'en Février 2026, sous l'équivoque titre "100 Deleuze" ...


Sources bibliographiques :

(1) Michel Foucault —《 Theatrum Philosophicum 》(1970)

(2) Gilles Deleuze & Félix Guattari — 《 Anti-Œdipe 》(1972)

(3) François Dosse —《 Gilles Deleuze, Félix Guattari 》(2010)

  • Rudy Goubet Bodart
  • Jan 28

Ces gestes, ces paroles, ces symboles ... qui font tous l'objet d'une hâte interprétative qui n'a rien à envier au réflexe pavlovien semblent ne démontrer qu'une seule chose : l'Occident, et l'Europe particulièrement, n'ont toujours pas assimilé, n'ont toujours pas digéré, n'ont toujours pas dépassé les atrocités de 1939-1945.


L'Europe, et les âmes qui la peuplent, sont toujours hantés par leur récent passé qui, décidément, ne passe pas. Hurler au loup, c'est-à-dire percevoir du nazisme, du fascisme ... partout sauf là où ils se trouvent réellement relève du pathologique, de l'obsession générée par un deuil jamais entamé et qui parfois, et même souvent, vire à l'hallucination et au délire. Prédire le pire qui nous attend tous, sentir la catastrophe qui n'épargnera personne, être à ce point exalté par les divinations morbides ... ne peut être que le signe de l'impuissance à se défaire, à se séparer, ne serait-ce qu'un peu, de son histoire, de l'Histoire. Pour paraphraser Donald Winnicott, la crainte d'un effondrement à venir n'est que la remémoration de l'effondrement qui a déjà eu lieu. Un psychanalyste ne devrait jamais oublier cela.


Une observation intéressante : depuis ces accusations Elon Musk est vexé comme un poux d'être qualifié de nazi ou de fasciste et se met même à écrire en latin (Nemo me impune lacessit). La moindre des choses pour un nazi ou un fasciste serait, tout de même, de s'assumer, surtout quand il est au sommet de sa gloire. Musk demeure tout de même celui qui implante déjà des puces dans des cerveaux humains (Neuralink) pour créer une interface entre l'Homme et l'ordinateur et qui a pour dessein la fusion entre l'Homme et l'intelligence artificielle (il le dit sans détour aucun). Le qualificatif le plus précis pour le désigner n'est ni nazi, ni fasciste mais simplement transhumaniste. Il serait le nom de la nuance de droite (?) du transhumanisme en marche.


▪︎ Elon Musk & Jacques Lacan : le transhumanisme, l'amour et la psychanalyse (2020)


Il semblerait que le cerveau soit l'organe de prédilection des transhumanistes conservateurs quand l'appareil génital est celui des transhumanistes progressistes.


▪︎ Petite Fille ? La Fabrique Transgenre (2021)


▪︎ Petite Fille ? D'un Trans à l'Autre (2022)


Je considère que le transhumanisme est une forme de totalitarisme, c'est-à-dire une tentative de saisir le tout de l'Homme, soit nécessairement de le réduire et en l'occurrence à un substrat neuronique agrémenté d'un outillage informatique (quitte à vouloir le faire passer, ironiquement, pour un Homme augmenté).


Quelques mots maintenant sur la photographie qui date de 2010/2011 où les plus observateurs arriveront à m'identifier :


Quand j'étais plus jeune que je ne le suis aujourd'hui, j'effectuais, quasiment chaque dimanche, et ce pendant des années, en compagnie de mes camarades, ce geste si caractéristique du bras tendu pour supporter l'équipe de ma ville. Ce geste est présent dans tous les stades d'Europe et certainement du monde. En France, il s'agit du fameux 《 Aux Armes 》. En plus de ce geste, nous avions très fréquemment des mots que la doxa qualifierait volontiers d'homophobe pour décorer les joueurs et les supporteurs de l'équipe adverse. La psychanalyse n'est pas une herméneutique et nous apprend que l'interprétation ne délivre pas une signification au sujet mais, en ne perdant pas de vue, et surtout de l'ouïe, la logique du signifiant, délivre le sujet de la signification.



  • Rudy Goubet Bodart
  • Jan 5

《 Je choisis de t'aimer en silence, car en silence je ne trouve aucun rejet ... Je choisis de t'aimer dans la solitude, car dans la solitude personne ne t'appartient, sauf moi ... Je choisis de t'adorer de loin car la distance me protège de la douleur ... Je choisis de t'embrasser dans le vent, car le vent est plus doux que mes lèvres ... Je choisis de te retenir dans mes rêves car dans mes rêves tu n'as pas de fin ... 》— Djalâl ad-Dîn Rûmî


2025 commence avec le visionnage de Time to Love (1965) de Metin Erksan. Au sud d'Istanbul, sur la pluvieuse et triste île des Princes, Halil, peintre, tombe amoureux de l'impressionnante et imposante photographie d'une femme trônant fièrement dans le séjour d'une des villas qu'il restaure avec son vieil ami. Alors qu'il exécute son morne rituel quotidien consistant à s'installer devant cette photographie pendant de longues minutes pour la contempler et (surtout) se laisser contempler par elle, la propriétaire des lieux, une belle jeune femme de la bourgeoisie stambouliote, surprend le curieux voyeur scotché devant son portrait. Il n'en faut pas plus pour que celle-ci tombe éperdument amoureuse de l'artisan amoureux de son image ... et uniquement de son image ! Tel est le nœud,  expressément ficelé, de ce film en noir et blanc inspiré de contes soufistes qui donne l'impression au spectateur de se perdre dans un songe qui jamais ne prend les allures d'un rêve et finit en cauchemar.

Ce film destiné à la disparition a fait l'objet d'un sauvetage, en quelque sorte, puisqu'il est la toute première restauration de MUBI. Il jouit généralement de très bonnes critiques de la part des cinéphiles et autres connaisseurs en cinéma. Certains philosophes ou intellectuels se sont même saisis de ce long-métrage puisqu'il illustrerait, selon eux, le fameux, aussi bien que fumeux, concept de pouvoir destituant car ils perçoivent dans ce qu'Halil offre à cette femme une nouvelle forme d'amour dépouillée des lieux communs et des conventions bourgeoises (mariage). Un Bartlebysme turc ...


Le psychanalyste, quant à lui, reste plutôt perplexe face à une telle analyse philosophique puisque ce qu'il perçoit dans ce film est, plus trivialement, la mise en scène de l'impossibilité d'aimer. Qu'est-ce qu'un homme amouraché de l'image d'une femme pourrait bien avoir à offrir à cette femme réelle ? Puisqu'en amour, il s'agit bel et bien d'une offre, et même davantage : d'un don ! Du don de ce que l'on n'a pas (à quelqu'un qui n'en veut pas). C'est-à-dire de la mise en je(u) du manque constitutif assumé au cœur de notre ineffable et éphémère être. Soit précisément l'inverse de ce qu'Halil fait en restant fixé au seuil de la destitution subjective (violent appauvrissement du moi qui fait perdre au sujet tout ce qu'il tenait alors pour des certitudes) nécessaire à la possibilité d'aimer. Jacques Lacan ne s'y trompait pas quand il affirmait que l'amour est une forme de suicide. Ce qui est une autre façon de dire qu'aimer c'est changer de discours.


Dans Time to Love — titre qui peut alors s'entendre comme une chance à saisir autant que comme un impératif — Halil, coincé dans sa propre subjectivité, préfère la fixité, la permanence, la constance, l'immuabilité de l'image plutôt que la rencontre amoureuse toujours bouleversante avec le réel féminin. Il se contente de la fétichisation d'une femme afin de ne pas avoir à faire avec le réel de la femme qui s'offre à lui. Le fantasme, dans son versant le plus imaginaire, est une protection contre le réel.


« Car là où l'amour s'éveille, meurt le moi ce sombre despote » — Djalâl ad-Dîn Rûmî



bottom of page