DOLTO A-T-ELLE ÉTÉ DÉFENDUE ? (4/4)
Françoise Dolto parlait au niveau de l'Inconscient
Une autre défense que prennent certains analystes semble plus subtile, car plus technique, et consiste grosso modo à exprimer l'idée que Françoise Dolto se référait au niveau inconscient des personnes lorsqu'elle s'adressait à eux, ce sans quoi, ce qu'elle disait aurait été proprement scandaleux.
Bien que plutôt séduisante cette proposition ne peut convaincre que les naïfs et ceux qui n'ont pas la moindre expérience de l'analyse.
Même dans les premiers temps de la psychanalyse Freud avait déjà démontré que toute interprétation avait pour but de rendre l'inconscient conscient. Cela est donc suffisant pour prouver que le conscient – bien moins définissable qu'il n'y paraît – et l'inconscient sont étroitement reliés, connectés par les mots, pour le dire simplement. C'est-à-dire que l'inconscient n'est pas un domaine à part, abstrait, déconnecté de notre vie «consciente» de tous les jours et de toutes les nuits (cf. Psychopathologie de la vie quotidienne et l'interprétation des rêves).
Donc, quand un analyste, et en l’occurrence Françoise Dolto, intervient c'est bel et bien pour que l'analysant puisse mettre des mots, en mots, ce qui a déjà cours dans sa vie quotidienne et se manifeste sous forme d'oubli, de lapsus, de ratés, de symptômes ... sans que rien ne puisse efficacement s'en dire. En effet, rien n'est peut-être plus inconscient que la façon dont le sujet se rapporte à lui-même en invoquant qu'il est tout à fait conscient de ce qu'il dit ou fait.
Comme le disait Lacan : «L’inconscient ? Je propose de lui donner un autre corps parce qu’il est pensable qu’on pense les choses sans les peser. Il y suffit des mots ; les mots font corps, ça ne veut pas dire du tout qu’on y comprenne quoi que ce soit. C’est ça l’inconscient, on est guidé par des mots auxquels on ne comprend rien. On a quand même l’amorce de cela quand les gens parlent à tort et à travers, il est tout à fait clair qu’ils ne donnent pas aux mots leur poids de sens. Entre l’usage de signifiant et le poids de signification, la façon dont opère un signifiant, il y a un monde. C’est là qu’est notre pratique : c’est approcher comment des mots opèrent.»
Cela nous amène à considérer la suite logique de cet argumentaire qui consiste en un retournement de cette défense en une attaque : « Françoise Dolto disait des choses monstrueuses ! »
Par définition, et aussi par rhétorique, disons qu'il ne peut y avoir de «dires monstrueux» puisque c'est précisément par la parole, par les mots, que l'humain advient à l'Homme. Citons Freud : « Le premier homme à avoir jeté une insulte plutôt qu'une pierre est le fondateur de la civilisation » ou Hegel : « Le mot est le meurtre de la chose ».
Il est pourtant vrai que Dolto pouvait avoir des paroles déstabilisantes, surprenantes, dérangeantes, et pourquoi pas agaçantes. Ce type de parole fulgurante qui renverse notre conception des choses et provoquent un jaillissement de pensées nouvelles. Une parole fécondante, inséminante. Elle avait cette facilité d'accès aux fantasmes de ses analysants et savait en restituer le scandale sans pour autant se situer dans la provocation. Elle savait bien que la fonction de l'analyste est de se fendre de l'impudence d'un dire qui frappe sans blesser. Elle mettait à jour des désirs de meurtre, de suicide, d'inceste ... chez les enfants, les adolescents, les adultes, les parents ... Elle savait aussi que la reconnaissance de ses motions permet un soulagement, voire une certaine libération. Comme Freud, elle savait que toute psychanalyse avait pour but de libérer de l'amour pris au piège dans ce piètre et douloureux compromis, entre la satisfaction du désir et son interdit, que l'on nomme symptôme.