- Rudy Goubet Bodart
- Feb 11, 2020

La puissance de la rumeur repose sur celle de la croyance qui elle-même repose sur celle de la parole. Lorsque quelqu'un me parle mon premier réflexe est de (le) croire, et même si après quelques secondes je ne (le) crois plus, le fait de me situer dans la non-croyance ne m'exclut pas du champ de la croyance. En effet, on pourra toujours dire que je crois que je ne crois pas. Ne pas croire c'est toujours déjà croire qu'on ne croit pas – ou croire ne pas. Une autre façon de le dire est qu'il ne suffit pas de ne pas croire EN quelque chose pour ne pas croire CE quelque chose puisqu'il y aura toujours un autre, et même l'Autre – «le langage lui-même» – pour croire à ma place, pour moi ... comme le rappelle cette histoire où Niels Bohr dont l'ami était tout étonné de constater qu'il avait accroché à sa porte d'entrée un fer à cheval – trahissant ainsi sa superstition – que le célèbre physicien justifia, non sans humour, ainsi : « On m'a dit que ça marchait même quand on n'y croyait pas ! » Bien entendu, le mot le plus important de cette phrase est le « on ». Le « on », la troisième personne anonyme, ne vaut-il pas comme une instanciation du langage lui-même ? Le vecteur, le tiers, par lequel nous croyons par délégation ? Ne trahit-il pas notre croyance foncière ? C'est un peu comme lorsque nous disons : « Il pleut ». Qui est ce « il » si ce n'est la relique de temps immémoriaux où l'humanité croyait que dernière chaque manifestation de la nature se cachait un Dieu (animisme) ? (Notons au passage qu'aujourd'hui nous ne sommes pas si loin que ça de la pensée animiste, surtout lorsque l'on entend de plus en plus de monde parler de la terre, de la planète, en tant que Gaïa) C'est toujours par le « on » que la rumeur se colporte : on parle d'une possible pénurie de biens alimentaires à cause du virus, et bien que je crois que cette rumeur soit fausse, je vais tout de même faire des emplettes. C'est plus prudent parce que des personnes suffisamment stupides vont croire que cette rumeur est vraie et se ruer dans les grandes surfaces. Ainsi, en allant faire des courses, j'aurais donné consistance à cette rumeur et participé à lui attribuer une réalité, voire à la rendre vraie. Dans cet exemple, on constate parfaitement que le sujet ne croit pas directement, à la première personne, mais par délégation ou procuration, à travers les autres, les autres croient pour le sujet, à sa place. Que le sujet croit directement – ce qui est rare de nos jours – ou qu'il croit à travers les autres, l'effet est qu'il n'y a plus grand chose dans certains rayons des magasins et beaucoup moins de monde dans les transports en commun. La croyance implique toujours l'autre, elle est toujours «sociale». Ainsi la croyance n'est pas une simple question de représentations internes que le sujet entretiendrait seul avec lui-même, dans son intimité, mais toujours ce qu'il fait, la façon dont il se comporte dans la vie quotidienne. De là la croyance peut se deviner, se déduire. Pourquoi le sujet ne peut pas ne pas croire ? Tout simplement parce que c'est toujours déjà par le croire que du sujet s'instaure. Le sujet-pur-parlant (comme on dirait du pâté pur porc) est toujours un sujet-pur-croyant car il est condamné à se fier à la parole, aux mots qui le font, le défont tout en le parasitant, en le contaminant, en l'ensorcellant. En cela, Lacan avait raison de dire que la parole est le cancer de l'humanité (et qu'elle est bien plus dangereuse que n'importe quel virus). Comme la musique me fonde et m'institue comme sujet-supposé-entendre, la rumeur me fait sujet-supposé-croire (Michel de Certeau) . La rumeur suppose la croyance qui suppose le sujet. À une époque dite scientifique la croyance semble jamais n'avoir été aussi puissante, voire aussi rusée. Que Dieu soit mort, clâmait Nietzsche, est peut-être bien la meilleure raison d'y croire. Mais comme le disait un célèbre écrivain français, médecin de profession : « Dieu est en réparation »Â

- Rudy Goubet Bodart
- Jan 20, 2020
Peu de psychanalystes ont accédé à une notoriété telle qu'ils sont devenus un support transférentiel, non pas seulement pour leurs patients ou analysants, mais aussi pour un nombre considérable de personnes qu'ils n'ont jamais rencontrées. C'est bien entendu le cas pour Sigmund Freud et, en France, il y a eu Jacques Lacan et Françoise Dolto qui ont incontestablement marqué leur époque. Le transfert, comme nous le savons, n'est jamais que positif ou négatif mais est bel et bien constitué par la combinaison d'amour et de haine. Aujourd'hui, Françoise Dolto est accusée d'avoir soutenu la «pédophilie» (terme totalement dévoyé) ou pour le dire avec le vocabulaire qui caractérise notre époque la «pédocriminalité». Ces accusations ne disent rien au sujet de Françoise Dolto mais en dévoilent davantage quant à notre époque, et plus particulièrement quant aux personnes qui les proférent et à ceux qui les suivent. Ces personnes ne s'arrêtent bien sûr pas à des découpages très arbitraires de certaines entrevues de Dolto retranscrites par une tierce personne. Non, elles s'autorisent aussi à être insultantes envers ce qu'ont été ou sont devenus les enfants de Dolto et qui, selon eux, serait la conséquence des idées loufoques de leur mère. Une fois encore, ces propos ne disent rien au sujet de Dolto et de ses enfants, mais montrent ô combien l'idée de l'éducation que se font leurs accusateurs est entachée d'amour propre. En parlant d'éducation, ces personnes font circuler une pétition où ils réclament la suppression du nom de Françoise Dolto de plus d'une centaine d'établissements scolaires. Comble de l'absurde. De là où elle est, Dolto, doit rire aux éclats. Elle qui était si critique quant à l'éducation nationale et dont les idées pour le moins novatrices (pour ne pas dire «révolutionnaires», puisque ce terme est dorénavant très souvent accolé à la plus haute canaillerie) en la matière n'ont jamais été suivies. Et c'est bien, en partie, pour pallier aux carences de l'éducation nationale qu'elle a, avec d'autres, créé La Maison Verte. Le plus étonnant est donc qu'un jour un gouvernement ou un ministre (qui n'ont certainement jamais lu un seul ouvrage de la psychanalyste) aient eu l'idée de donner son nom à des écoles. Françoise Dolto est également haïe par les «féministes» — et c'est d'ailleurs la retranscription d'une entrevue avec l'une d'entre elles qui fait polémique. Françoise Dolto, une femme née en 1908, qui a traversé deux guerres, qui s'est élevée contre son milieu, sa famille pour pouvoir étudier, qui a produit une thèse en pédiatrie dans les années 30 basée sur les idées d'un juif, qui a aidé tant de mères en leur disant, notamment, qu'elles n'étaient justement pas que mères mais aussi femmes, qui a eu le courage de produire des écrits pour tenter d'expliciter la sexualité féminine, qui a insisté sur l'importance du rôle du père dans l'éducation de l'enfant ... oui, curieusement, cette femme est honnie par le «féminisme». Mais aujourd'hui, combien de «féministes» peuvent prétendre lui arriver au dixième de la cheville ? Bien évidemment Françoise Dolto est aussi attaquée au nom de l'enfant et même au nom de son bien-être et de sa protection. Là est certainement le point le plus important. Françoise Dolto n'a jamais parlé au nom de l'enfant, mais au nom de la cause de celui-ci (et aussi de celle de l'adolescent). Françoise Dolto ne parlait pas à la place de l'enfant mais savait que l'enfant — et plus précisément le sujet qu'elle supposait présent même avant sa naissance mais sans jamais le confondre avec celui-ci — était déjà porteur de la parole même lorsqu'il ne pouvait pas encore l'articuler verbalement. Et cette parole parfois enkystée dans le corps — ce qui s'appelle symptôme en psychanalyse — est riche d'un savoir qu'il convient de lire, de déchiffrer, pour l'aider à se dire afin que s'en déleste une bonne part de souffrance. Françoise Dolto disait des enfants qu'ils étaient ses véritables maîtres, que c'était eux qui lui apprenaient son métier. Elle ne confondait pas le sujet avec l'enfant. Et c'est bien de cela dont il s'agit chez celui qu'on appelle le «pédocriminel» : de l'identification ou de la confusion du sujet avec l'enfant. Elle savait que le sujet n'était pas individuel mais qu'il devait être supposé à tous les âges de la vie (et même avant la naissance) avec les épreuves qu'ils impliquent, pour pouvoir le soutenir dans ses «potentialités subjectives», sa «dynamique vitale», ou encore son «allant-devenant». Elle ne confondait ni le sujet avec l'enfant, et par conséquent, ni l'enfant avec son symptôme. Elle ne parlait pas des «enfants autistes» — auxquels il faudrait appliquer des méthodes standardisées pour l'autisme, alors considéré uniquement comme trouble neurologique — non, elle ne parlait pas des «enfants autistes» sans y supposer le sujet de l'inconscient. Elle lisait dans le corps de l'enfant l'être en souffrance, et aujourd'hui encore des centaines de personnes, dont des patients et des analysants, peuvent témoigner de leur rencontre inoubliable avec cette Femme Exceptionnelle.Â

- Rudy Goubet Bodart
- Nov 11, 2019
It has been a great moment for me to give a speech about screen at the Institute of Mental Health here.Â
It was the opportunity for me to make my position on psychoanalysis as clear as possible.Â
A video of the conference will be available soon.Â


