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TIME TO LOVE

《 Je choisis de t'aimer en silence, car en silence je ne trouve aucun rejet ... Je choisis de t'aimer dans la solitude, car dans la solitude personne ne t'appartient, sauf moi ... Je choisis de t'adorer de loin car la distance me protège de la douleur ... Je choisis de t'embrasser dans le vent, car le vent est plus doux que mes lèvres ... Je choisis de te retenir dans mes rêves car dans mes rêves tu n'as pas de fin ... 》— Djalâl ad-Dîn Rûmî


2025 commence avec le visionnage de Time to Love (1965) de Metin Erksan. Au sud d'Istanbul, sur la pluvieuse et triste île des Princes, Halil, peintre, tombe amoureux de l'impressionnante et imposante photographie d'une femme trônant fièrement dans le séjour d'une des villas qu'il restaure avec son vieil ami. Alors qu'il exécute son morne rituel quotidien consistant à s'installer devant cette photographie pendant de longues minutes pour la contempler et (surtout) se laisser contempler par elle, la propriétaire des lieux, une belle jeune femme de la bourgeoisie stambouliote, surprend le curieux voyeur scotché devant son portrait. Il n'en faut pas plus pour que celle-ci tombe éperdument amoureuse de l'artisan amoureux de son image ... et uniquement de son image ! Tel est le nœud,  expressément ficelé, de ce film en noir et blanc inspiré de contes soufistes qui donne l'impression au spectateur de se perdre dans un songe qui jamais ne prend les allures d'un rêve et finit en cauchemar.

Ce film destiné à la disparition a fait l'objet d'un sauvetage, en quelque sorte, puisqu'il est la toute première restauration de MUBI. Il jouit généralement de très bonnes critiques de la part des cinéphiles et autres connaisseurs en cinéma. Certains philosophes ou intellectuels se sont même saisis de ce long-métrage puisqu'il illustrerait, selon eux, le fameux, aussi bien que fumeux, concept de pouvoir destituant car ils perçoivent dans ce qu'Halil offre à cette femme une nouvelle forme d'amour dépouillée des lieux communs et des conventions bourgeoises (mariage). Un Bartlebysme turc ...


Le psychanalyste, quant à lui, reste plutôt perplexe face à une telle analyse philosophique puisque ce qu'il perçoit dans ce film est, plus trivialement, la mise en scène de l'impossibilité d'aimer. Qu'est-ce qu'un homme amouraché de l'image d'une femme pourrait bien avoir à offrir à cette femme réelle ? Puisqu'en amour, il s'agit bel et bien d'une offre, et même davantage : d'un don ! Du don de ce que l'on n'a pas (à quelqu'un qui n'en veut pas). C'est-à-dire de la mise en je(u) du manque constitutif assumé au cœur de notre ineffable et éphémère être. Soit précisément l'inverse de ce qu'Halil fait en restant fixé au seuil de la destitution subjective (violent appauvrissement du moi qui fait perdre au sujet tout ce qu'il tenait alors pour des certitudes) nécessaire à la possibilité d'aimer. Jacques Lacan ne s'y trompait pas quand il affirmait que l'amour est une forme de suicide. Ce qui est une autre façon de dire qu'aimer c'est changer de discours.


Dans Time to Love — titre qui peut alors s'entendre comme une chance à saisir autant que comme un impératif — Halil, coincé dans sa propre subjectivité, préfère la fixité, la permanence, la constance, l'immuabilité de l'image plutôt que la rencontre amoureuse toujours bouleversante avec le réel féminin. Il se contente de la fétichisation d'une femme afin de ne pas avoir à faire avec le réel de la femme qui s'offre à lui. Le fantasme, dans son versant le plus imaginaire, est une protection contre le réel.


« Car là où l'amour s'éveille, meurt le moi ce sombre despote » — Djalâl ad-Dîn Rûmî



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