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Il est parfois des coïncidences heureuses : alors que le GIEC vient de rendre son implacable verdict sur la fin annoncée de l'humanité, cette archive vidéo de Jacques Piccard (océanographe et ingénieur suisse) me parvient.


Ses propos n'ont absolument rien à envier aux écolo-collapsologues d'aujourd'hui, c'est même le contraire qui serait vrai.


Preuve, s'il en est, qu'ils appliquent réellement leurs idées, à commencer par celle, principielle, du recyclage.


Ce qui est remarquable dans cette vidéo est la façon dont ce charmant monsieur au verbe haut a de s'adresser à l'Ordinateur comme s'il parlait à une entité supérieure omnisciente, autrement dit, à un Dieu.


D'ailleurs, le mot même d'Ordinateur est là sans ambiguïté : l'Ordinateur c'est l'ordonnateur, ce qui ordonne, ce qui donne l'ordre.


Jacques Piccard, père spirituel des Aurélien Barrau (qui porte si bien son nom) et autres Pablo Servigne ou — dans un autre genre — Neil Ferguson, va chercher ses ordres d'une petite machine dans laquelle il rentre des petites formules qui dévoile de quoi sera fait, non pas seulement son avenir, mais celui de toute l'humanité alors au mieux comparée à des insectes ou des rongeurs et au pire reduite à une série de caractéristiques objectivables et prédictibles.


Ces prophéties apocalyptiques ne datent pas de l'invention de l'Ordinateur mais existent depuis que l'humanité est et leur message culpabilisant est toujours le même : « Tiens-toi bien pauvre gueux, sinon c'est la catastrophe qui t'attend ! Fais bien ce qu'on te dit, sinon tu le paieras ! Ne vois-tu pas l'enfer dans lequel nous vivons tous ? Comporte-toi correctement si tu ne veux pas que ça s'aggrave ! »


Ce qui est notable à l'écoute de cette vidéo est la tranquillité et la sérénité avec lesquelles les pires catastrophes sont annoncées et qui n'ont d'égal que leur envers : l'ob-scène jouissance que se procure celui qui les professe.


Quel jouïr narcissique que d'annoncer à la télévision la fin du monde en avant-première !


Car il a beau se cacher derrière son Grand Ordinateur, c'est bien lui, le petit Jacques Piccard, qui énonce ce qu'il énonce dans une auto-satisfaction décontractée.


C'est toujours sous couvert d'un savoir, d'une connaissance supposément objective, qu'un ordre est donné à l'autre alors réifié à un trait, individualisé, voire objectifié, afin de produire une nouvelle subjectivité, un nouveau comportement, conditionné donc à cette connaissance désincarnée.


Le plus pathétique là-dedans est tout de même la solution proposée à un diagnostic délirant et qui aujourd'hui s'appellerait « décroissance ».


Cette émission a eu lieu en 1972, soit une période plutôt faste en Occident au niveau économique, et Jacques Piccard vient annoncer qu'il va falloir tout ralentir, voire stopper, pour éviter la catastrophe planétaire.


C'est-à-dire qu'après s'en être mis plein la panse les occidentaux disent au reste du monde :


« Nous avons goûté au confort mais vraiment ça a un prix écologique très élevé, trop élevé. Nous vous le déconseillons vivement. Alors, mes bons amis chinois, indiens, brésiliens ... si les millions, que dis-je ... les milliards ! d'entre-vous, venaient à connaître le progrès technique et économique, le confort et l'oisiveté qui vont avec, vous comprendrez bien que la planète n'y survivrait pas ! »


Les consciences tristes ont toujours le ventre plein.


Le bobobo (bourgeois, bohème et bonobo) occidental ne se rend pas compte à quel point la « décroissance » et le « minimalisme » sont la quintessence du nec plus ultra d'un luxe que lui seul peut s'offrir, puisque par définition, le pauvre (de la ménagère chinoise à l'ouvrier congolais en passant par l'agriculture péruvien) lui, ne peut pas jouer au décroissant ou au minimaliste en s'imaginant ainsi pouvoir régler — avec comme mesure-étalon son orgueil fou — entre autres, le « dérèglement climatique », puisqu'il est connu de tous que de tout temps le climat était bien évidemment réglé comme du papier à musique.


Un jour peut-être des guerres seront déclarées, au nom de l'écologisme, à des peuples trop irrespectueux de la nature, ou plutôt au nom de la conception « New Age » que notre modernité se fait de la nature ; et peut-être aussi que les citoyens, si ce mot a encore le moindre sens de nos jours, se verront limités dans leurs mouvements, leurs activités ... par un « passeport carbone » ou je ne sais quelle autre merveille technologique qui mesurera en temps réel leur empreinte polluante et la trace pécheresse que leur existence laisse à la surface de la terre, le tout, bien sûr, afin de préserver ce que les verdâtres thuriféraires zombifiés osent encore appeler « le vivant ».



  • Rudy Goubet Bodart


Vision de Philippe Katerine qui met en scène un pathétique dictateur échoué sur une île déserte parlant dans le vide, au vide, à l'écho vide ...


Cela rappelle étrangement une cérémonie d'investiture aussi lunaire que fantomatique avec des drapeaux en guise de public ou encore un défilé tout aussi étrange de la garde républicaine sans foule le jour de la fête nationale.


Si la figure du dictateur peut intéresser le psychanalyste c'est avant tout parce qu'elle est l'incarnation d'un positionnement particulier vis-à-vis de l'imposition, du plaquage même, dont procède le langage.


Le langage est comme le Cheval de Troie : après le choix forcé d'en accepter le cadeau, celui-ci nous colonise, c'est-à-dire qu'il nous impose violemment ses lois sans lesquelles nous ne pourrions exister et fait de notre vie son royaume.


Le dictateur incarne alors, et à son corps défendant, cette violence du langage qui dicte sa loi au sujet qui n'en est que l'effet, rien d'autre que l'effet. Voilà ce qui, la plupart du temps, à beaucoup de mal à passer : le signifiant précède le sujet, le sujet procède du signifiant.


Si le sujet est davantage parlé que parlant le dictateur est davantage dicté que dictant. Il n'a pas la moindre idée d'occuper une place dans la structure langagière ce qui le fait nager dans l'illusoire consistance de l'Imaginaire lui faisant croire dur comme fer que sa place est son être.


Il a affaire aux foudres d'un Surmoi archaïque pré-œdipen, d'aucuns diront maternels, comme le dit la chanson : « Les dictateurs ont des mamans trop maman » ce qui sous-entend qu'ils ont aussi des papas pas assez papa. Une autre façon de dire que la fonction paternelle est ici défaillante d'où la nécessité d'une compensation imaginaire en jouant précisément le père sévère.


Au niveau historique, et notamment au xx ème siècle, l'émergence des figures dictatoriales n'est donc pas l'effet d'un patriarcat poussé à son paroxysme mais bel et bien celui de la faillite de la fonction paternelle.


Le dictateur s'imagine faire exception et veut imposer aux autres les lois, qui sont toujours celles du langage, desquelles il pense pouvoir s'extraire alors qu'il se débat corps et âme avec elles dans un obscène aut(o-éro)tisme où il s'affecte (à la fois passif et actif, coupable et victime ...) notamment, comme le montre le clip, par des écholalies et des holophrases qui pourraient faire songer aux gazouillis et babillages du nourrisson si seulement, comme elles, elles étaient empreintes d'innocence.


Autrement dit, à défaut de torturer les mots qui le torturent le dictateur finit toujours par torturer la vie des gens et au final les gens eux-mêmes jusqu'à ce que cela se retourne contre lui. Il est un grand idéaliste et a une si haute idée de l'humanité qu'il n'hésite pas à exclure et rejeter ceux qui ne s'y conformeraient pas. À défaut de pouvoir aimer une seule âme il aime cette idée abstraite qu'est l'humanité, toute l'humanité.


Ainsi il ignore qu'il n'y a pas de maître mais seulement du signifiant maître (S1) que la méthode psychanalytique se propose de questionner. Le dictateur pourrait alors être considéré comme une nuance de la figure du maître qui veut ne pas savoir de quel fantasme se soutient sa position, en l'occurence : un fantasme de toute puissance qui toujours cède le pas au besoin de punition — ce que le clip met très bien en scène.


Qu'il n'y ait pas de maître mais seulement du signifiant maître n'est en soi pas nécessairement une si bonne nouvelle que ça puisque cela veut dire que tant que des ordres seront donnés il y aura de l'obéissance. C'est ce que décrit le merveilleux roman d'Alexander Lernet-Holenia « L'Étendart » où vers la fin de la première guerre mondiale l'armée multinationale de l'Empire austro-hongrois se désagrège. Un régiment hongrois refuse soudainement d'obéir à l'ordre de marche lancé par le commandant autrichien. Celui-ci, sidéré par cette rébellion inattendue, hésite, consulte les autres officiers, ne sait que faire et est presque sur le point d'abandonner le commandement quand il finit par trouver un régiment d'une autre nationalité, qui obéit encore à ses ordres et ouvre le feu sur les mutins. Chaque fois que le pouvoir est sur le point de se décomposer, tant que quelqu'un donne des ordres il se trouvera toujours aussi quelqu'un — fût-ce une seule personne — pour lui obéir ; un pouvoir ne cesse d'exister que lorsqu'il renonce à donner des ordres. Ce à quoi il convient d'ajouter qu'un pouvoir qui produit une prolifération, une profusion d'ordres et de règles plus absurdes les uns que les autres est aussi un pouvoir qui confesse sa propre décomposition.


Ainsi une approche psychanalytique permet d'affirmer que le dictateur ne relève absolument pas d'une nosographie psychopathologique particulière mais n'est qu'une subjectivité qui pousse à l'extrême les logiques auxquelles nous sommes tous bien trop enclins. Hannah Arendt ne dit rien d'autre lorsqu'elle parle de la banalité du mal. L'Histoire a déjà démontré à maintes reprises que le petit kapo que chacun de nous cache si soigneusement à « l'intérieur de soi » est aisément activable et se drape plus souvent qu'à son tour des apparas de la neutralité, de l'objectivité, de la bienveillance, de l'altruisme, voire de la vertu.


« Le parlêtre n'aspire qu'au Bien d'où il s'enfonce toujours dans le pire » — Jacques Lacan


Pour en finir avec le commentaire de ce clip de Philippe Katerine il est assez facile de s'imaginer qu'il met en scène ce qui est arrivé à un dictateur après que son peuple ne l'ait envoyé sur une île déserte afin de se débarrasser de lui ( à moins qu'il n'ait pris la fuite ?) : il persévère à donner des ordres, ordres que lui-même reçoit du langage, comme un automatisme de répétition fonctionnant parfaitement à vide puisque personne, sauf lui, n'est là pour y obéir.


Qu'il n'y ait pas de maître mais seulement du signifiant maître n'est en soi pas nécessairement une si mauvaise nouvelle que ça puisque cela veut dire que c'est avant tout et même en dernier lieu au langage lui-même que le sujet a affaire :


« Ce qui se passe, ce sont des mots » — Samuel Beckett


Ainsi le langage n'est pas que cette imposition du sens qui a la prétention d'être LE sens de la vie mais est aussi sa propre subversion notamment à travers l'art, la musique, la poésie, la psychanalyse, l'humour, l'amour .... Tels auront été le destin et la récolte du fruit des fameux aphorismes soixante-huitards, du « jouir sans entraves » aux autres « il est interdit d'interdire » auxquels il convient d'opposer un « il n'est pas obligatoire d'obéir ».


Le poète aura toujours le dernier mot :


« Je songe à cette armée de fuyards aux appétits de dictature que reverront peut-être au pouvoir, dans cet oublieux pays, ceux qui survivront à ce temps d'algèbre damnée » — René Char

  • Rudy Goubet Bodart

En psychanalyse, et en particulier chez Lacan, porte le nom de « canaille » le sujet qui veut dérober la jouissance sans jouer le jeu du discours d’où elle s'ordonne.


Si par mésaventure une canaille venait à faire une psychanalyse le résultat serait qu'elle en deviendrait bête ; ce qui est un progrès faramineux puisque comme la psychanalyse nous l'enseigne il n'y a pas de sujet qui précède le signifiant mais le sujet est toujours l'effet du signifiant et ... il n'y a rien de plus bête qu'un signifiant !


Qu'une canaille puisse réaliser que son sujet, et son peu de réalité, ne sont qu'effet de langage aurait des vertus salutaires pour beaucoup.


Cela dit une canaille fait rarement une psychanalyse, elle en a même horreur, puisqu'elle s'imagine être plus maline que le langage lui-même.


Nos « démocraties occidentales » loin, très loin, de l'idée de la Démocratie Grecque ne sont-elles pas le terreau privilégié de la culture des canailles ?


Ses représentants justifient leur politique par les élections qui ne seraient que le reflet des souhaits des électeurs qui se retrouvent donc toujours un peu pantois, comme pris à leur propre piège, devant les scandales, les choix absurdes et ahurissants de ceux qu'ils ont élus.


Plus fondamentalement, dans une « démocratie occidentale » où le pouvoir se légitime par des termes purement contractuels n'y a t-il pas, derrière ces règles, ou entre les lignes de ces règles, la présence de leur reliquat réel témoin d'une jouissance obscène ?


Si la « démocratie occidentale » pouvait parler, ne dirait-elle pas quelque chose comme :


« Notre pouvoir est limité. Nous devons rester dans le cadre des contraintes de la loi. Nous sommes simplement embauchés par le peuple, les citoyens qui ont voté pour que nous fassions un certain travail. Cela constitue notre limite. »


Même si le pouvoir se légitime de cette façon, il y a toujours une espèce de sous-titre :


« Au fond, nous faisons tout ce que nous voulons. Nous sommes pleinement souverains. Notre pouvoir est sans limite. »


Voilà comment retomber sur la définition de la canaillerie par Jacques Lacan :


« Se prendre pour le grand Autre de quelqu'un »




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