top of page
  • Rudy Goubet Bodart
  • Nov 20, 2021

ree

Imaginons quelques instants que Slavoj Žižek ne se soit pas allègrement enlisé dans le « progressisme » postmoderne — conséquence, notamment, de sa lâcheté vis-à-vis de l'enseignement lacanien —, quelle petite blague savoureuse, dont il a le secret, pourrait-il faire afin de déployer, devant nos yeux et nos oreilles, la complexité de la situation présente qui dure depuis bientôt deux ans ? Imaginons :


« Connaissez-vous la blague de l'antisémite qui rencontre un juif orthodoxe dans un train ?


J'adore cette blague car elle s'appuie bien évidemment, comme toutes les bonnes blagues, sur des clichés (racistes, sexistes ...) et vous savez bien qu'une façon de sympathiser avec un étranger est de vous raconter des blagues racistes sur les appartenances ethnique, religieuse ... de chacun. Pourquoi cela marche si bien ? Je pourrais peut-être vous l'expliquer à l'aide de la théorie lacanienne plus tard ... mais d'abord je vous raconte cette bonne blague !


La scène se passe dans un train entre Vienne et Salzbourg. Un jeune autrichien se retrouve assis à côté d'un juif orthodoxe d'un certain âge. Un peu gêné, le jeune homme surmonte sa timidité, et parvient à s'adresser au religieux :


— Bonjour Monsieur ... Excusez-moi de vous déranger ... Est-ce que vous ... Est-ce que ... vous êtes juif ?


— Visiblement.


— Je peux vous poser une question ?


— Ça sera déjà la troisième ... mais oui ... je vous en prie.


— Ça va certainement vous paraître déplacé, même raciste, mais j'ai toujours voulu savoir si ce que l'on dit à propos des juifs était exact ... est-ce que ... est-ce que c'est vrai que tous les juifs sont riches ?


— Il s'agit d'une rumeur fondée ...


— Ah ! C'est donc vrai ! J'en étais sûr ! Mais ... dites-moi ... avez-vous un secret ? Une méthode peut-être ?


— Évidemment. Cependant cette méthode est fastidieuse à développer et je crains, pour vous, qu'elle ne soit trop ennuyeuse à écouter ...


— Je vous assure que j'ai le temps devant moi ! Même si cela doit prendre tout le trajet !


— Êtes-vous bien sûr ... ?


— Oui ! Sûr et certain !


— Bon ... très bien ... vous savez cette méthode, ce secret ancestral, devrais-je même dire, n'est réservé qu'aux initiés ... mais, pour vous, je veux bien faire une exception à condition que vous me donniez cinq euros.


— Cinq euros ? Seulement ? Si c'est tout ce que vaut ce secret millénaire qui peut rendre un homme riche, alors tenez ! Prenez-les donc ! Ils sont à vous !


Après un long moment visage clos et bouche cousue le vieil homme se mit à parler et narra une histoire fabuleuse, faite de détours splendides, de délicates circonvolutions, d'anecdotes d'un humour d'une exquise finesse. Cette histoire puisait son origine dans la nuit des temps, dans la mystérieuse mémoire oubliée des hommes ... et soudainement, le vieil homme se tût.


— Quoi ? C'est tout ? Mais vous n'avez rien expliqué ! s'exclama le jeune autrichien.


— Ne soyez pas si impatient, dit le religieux d'une voix calme et assurée, ce n'est que le début du commencement. Si vous voulez connaître la suite, il faut payer cinq euros.


— D'accord, d'accord ! Tenez ! Continuez ! Je vous en prie !


Le religieux reprit alors le fil de cette merveilleuse histoire qui s'avèrait, au fil des minutes qui s'écoulaient, plus merveilleuse encore et en devenait même exaltante. Mais, de nouveau, le juif se tût au beau milieu d'une phrase. Automatiquement, le jeune autrichien tendit un autre billet de cinq euros et le religieux se remit à parler. Ce scénario se répéta jusqu'à ce que le train arrive en gare, moment qui coïncida curieusement avec l'impossibilité pour le jeune autrichien de payer davantage : le pauvre bougre n'avait plus un seul centime sur lui. Et c'est ainsi que les deux hommes se quittèrent ...


Cela va peut-être vous surprendre mais je pense que la situation actuelle, c'est-à-dire la gestion de l'épidémie de coronavirus, a exactement la même structure que cette blague. Bien sûr à la place du jeune autrichien, nous avons le peuple, à la place du juif orthodoxe, il y a le gouvernement, et à la place de l'argent se tient la liberté. Le gouvernement déploie son récit autour du coronavirus et exige d'abord du peuple un petit geste, anodin, qui n'a l'air de rien : porter un masque. Le peuple se dit alors que si cela peut lui permettre de recouvrer sa liberté, pourquoi pas. Et puis l'histoire continue, et une nouvelle exigence se fait entendre : maintenant il s'agit de se confiner. Et puis ensuite il s'agira de présenter une identification numérique partout où il se rend. Identification numérique elle-même fournie à condition d'avoir accepté une procédure médicale ... et ainsi de suite jusqu'à ce qu'à la fin, le peuple, croyant ainsi retrouver sa liberté en la sacrifiant, comme le jeune autrichien croyant devenir riche en dépensant son argent, a produit une nouvelle réalité sociale et se retrouve pris au dépourvu car il a donné tous les moyens nécessaires au gouvernement pour se retrouver dans cette position.


Vous aurez bien sûr reconnu dans cette petite blague et le parallèle avec la gestion de l'épidémie ce que l'on appelle en psychanalyse le surmoi. Le surmoi est l'écart réel entre le moi-idéal (imaginaire) et l'idéal-du-moi (symbolique) que la subjectivité tente coûte que coûte de combler, surtout en se sacrifiant, en se faisant payer cet écart. Il s'agit d'un cercle vicieux puisque le surmoi plus on lui obéit plus on se sent coupable. C'est comme le jeune autrichien qui paye encore et encore ou le peuple qui s'éloigne de « la vie d'avant » à mesure qu'il croit s'en rapprocher en sacrifiant toujours un peu plus sa liberté.


Une interprétation antisémite de cette blague pourrait être que le juif profite de l'ignorance d'un brave homme pour s'enrichir mais ça serait oublier qu'en réalité le juif ici ne fait pas simplement de dire à l'autrichien comment s'enrichir mais il lui montre littéralement. Charge est à l'autrichien de le comprendre. Cela pourrait nous faire faire un pas vers la différence entre ce que l'on appelle en linguistique l'énoncé et l'énonciation. Ainsi, nous pourrions nous demander si le jeune autrichien antisémite tirera un enseignement de cette leçon reçue par le juif orthodoxe ? Ou va-t-il perdurer dans son antisémitisme et se positionner d'autant plus comme victime éternelle de l'avidité qu'il suppose aux juifs, qu'en réalité, il ne fait que produire par son positionnement vis-à-vis de cette communauté ? Ainsi le peuple va-t-il se positionner comme l'éternelle victime de son gouvernement qu'il suppose — et certainement à raison mais cela ne change strictement rien — être profondément corrompu par les puissances financières de ce monde, ne travaillant que pour les intérêts privés au détriment du bien commun ? Ou va-t-il, comme le dit La Boétie, finalement s'apercevoir que ce que le gouvernement a de plus que le peuple ne sont que les moyens que celui-ci lui fournit pour indirectement se détruire ?


Nous avons toujours le gouvernement que nous méritons. »



Nous ne pouvons plus compter sur lui mais simplement nous en remettre au sage adage hopi :


« Nous sommes ceux que nous attendons »

  • Rudy Goubet Bodart
  • Sep 2, 2021

ree

Le jeune Sigmund Freud fut très influencé par Ludwig Börne qui préconisait à celui qui voulait se mettre au travail d’écriture de prendre un cahier et de le noircir pendant trois jours avec tout ce qui lui traverse l’esprit.


Qu’il s’agisse des amis, de la famille, du travail, des états d’âme, des pensées loufoques ou même des sentiments les plus pénibles ... rien ne doit passer à la trappe et aucun obstacle ne doit être assez fort pour empêcher l’écriture, puisque, selon lui, le génie aurait la sincérité à sa source.


Ainsi, dit-il, celui qui se plie à cette tâche très exigeante pourra devenir un écrivain original puisqu’il aura eu un aperçu de la façon particulière dont les mots, les pensées travaillent en lui, le travaillent.


En termes lacaniens on pourrait dire que cette esquisse écrite de la règle fondamentale de la psychanalyse permet au sujet de se passer d’un public (et de ses effets parfois inhibiteurs) pour pouvoir s’adresser à/de l’Autre - amoindrir les effets de l’Imaginaire afin de favoriser l’autonomie de l’ordre Symbolique.


Cela est une autre façon de dire que par ce travail d’écriture le sujet peut commencer à apprendre à se lire en laissant se déployer le plus librement possible, pour les reconnaître, ses signifiants primordiaux, soit ce qui le détermine à son insu.

  • Rudy Goubet Bodart
  • Jul 19, 2021

ree

Vision de Philippe Katerine qui met en scène un pathétique dictateur échoué sur une île déserte parlant dans le vide, au vide, à l'écho vide ...


Cela rappelle étrangement une cérémonie d'investiture aussi lunaire que fantomatique avec des drapeaux en guise de public ou encore un défilé tout aussi étrange de la garde républicaine sans foule le jour de la fête nationale.


Si la figure du dictateur peut intéresser le psychanalyste c'est avant tout parce qu'elle est l'incarnation d'un positionnement particulier vis-à-vis de l'imposition, du plaquage même, dont procède le langage.


Le langage est comme le Cheval de Troie : après le choix forcé d'en accepter le cadeau, celui-ci nous colonise, c'est-à-dire qu'il nous impose violemment ses lois sans lesquelles nous ne pourrions exister et fait de notre vie son royaume.


Le dictateur incarne alors, et à son corps défendant, cette violence du langage qui dicte sa loi au sujet qui n'en est que l'effet, rien d'autre que l'effet. Voilà ce qui, la plupart du temps, à beaucoup de mal à passer : le signifiant précède le sujet, le sujet procède du signifiant.


Si le sujet est davantage parlé que parlant le dictateur est davantage dicté que dictant. Il n'a pas la moindre idée d'occuper une place dans la structure langagière ce qui le fait nager dans l'illusoire consistance de l'Imaginaire lui faisant croire dur comme fer que sa place est son être.


Il a affaire aux foudres d'un Surmoi archaïque pré-œdipen, d'aucuns diront maternels, comme le dit la chanson : « Les dictateurs ont des mamans trop maman » ce qui sous-entend qu'ils ont aussi des papas pas assez papa. Une autre façon de dire que la fonction paternelle est ici défaillante d'où la nécessité d'une compensation imaginaire en jouant précisément le père sévère.


Au niveau historique, et notamment au xx ème siècle, l'émergence des figures dictatoriales n'est donc pas l'effet d'un patriarcat poussé à son paroxysme mais bel et bien celui de la faillite de la fonction paternelle.


Le dictateur s'imagine faire exception et veut imposer aux autres les lois, qui sont toujours celles du langage, desquelles il pense pouvoir s'extraire alors qu'il se débat corps et âme avec elles dans un obscène aut(o-éro)tisme où il s'affecte (à la fois passif et actif, coupable et victime ...) notamment, comme le montre le clip, par des écholalies et des holophrases qui pourraient faire songer aux gazouillis et babillages du nourrisson si seulement, comme elles, elles étaient empreintes d'innocence.


Autrement dit, à défaut de torturer les mots qui le torturent le dictateur finit toujours par torturer la vie des gens et au final les gens eux-mêmes jusqu'à ce que cela se retourne contre lui. Il est un grand idéaliste et a une si haute idée de l'humanité qu'il n'hésite pas à exclure et rejeter ceux qui ne s'y conformeraient pas. À défaut de pouvoir aimer une seule âme il aime cette idée abstraite qu'est l'humanité, toute l'humanité.


Ainsi il ignore qu'il n'y a pas de maître mais seulement du signifiant maître (S1) que la méthode psychanalytique se propose de questionner. Le dictateur pourrait alors être considéré comme une nuance de la figure du maître qui veut ne pas savoir de quel fantasme se soutient sa position, en l'occurence : un fantasme de toute puissance qui toujours cède le pas au besoin de punition — ce que le clip met très bien en scène.


Qu'il n'y ait pas de maître mais seulement du signifiant maître n'est en soi pas nécessairement une si bonne nouvelle que ça puisque cela veut dire que tant que des ordres seront donnés il y aura de l'obéissance. C'est ce que décrit le merveilleux roman d'Alexander Lernet-Holenia « L'Étendart » où vers la fin de la première guerre mondiale l'armée multinationale de l'Empire austro-hongrois se désagrège. Un régiment hongrois refuse soudainement d'obéir à l'ordre de marche lancé par le commandant autrichien. Celui-ci, sidéré par cette rébellion inattendue, hésite, consulte les autres officiers, ne sait que faire et est presque sur le point d'abandonner le commandement quand il finit par trouver un régiment d'une autre nationalité, qui obéit encore à ses ordres et ouvre le feu sur les mutins. Chaque fois que le pouvoir est sur le point de se décomposer, tant que quelqu'un donne des ordres il se trouvera toujours aussi quelqu'un — fût-ce une seule personne — pour lui obéir ; un pouvoir ne cesse d'exister que lorsqu'il renonce à donner des ordres. Ce à quoi il convient d'ajouter qu'un pouvoir qui produit une prolifération, une profusion d'ordres et de règles plus absurdes les uns que les autres est aussi un pouvoir qui confesse sa propre décomposition.


Ainsi une approche psychanalytique permet d'affirmer que le dictateur ne relève absolument pas d'une nosographie psychopathologique particulière mais n'est qu'une subjectivité qui pousse à l'extrême les logiques auxquelles nous sommes tous bien trop enclins. Hannah Arendt ne dit rien d'autre lorsqu'elle parle de la banalité du mal. L'Histoire a déjà démontré à maintes reprises que le petit kapo que chacun de nous cache si soigneusement à « l'intérieur de soi » est aisément activable et se drape plus souvent qu'à son tour des apparas de la neutralité, de l'objectivité, de la bienveillance, de l'altruisme, voire de la vertu.


« Le parlêtre n'aspire qu'au Bien d'où il s'enfonce toujours dans le pire » — Jacques Lacan


Pour en finir avec le commentaire de ce clip de Philippe Katerine il est assez facile de s'imaginer qu'il met en scène ce qui est arrivé à un dictateur après que son peuple ne l'ait envoyé sur une île déserte afin de se débarrasser de lui ( à moins qu'il n'ait pris la fuite ?) : il persévère à donner des ordres, ordres que lui-même reçoit du langage, comme un automatisme de répétition fonctionnant parfaitement à vide puisque personne, sauf lui, n'est là pour y obéir.


Qu'il n'y ait pas de maître mais seulement du signifiant maître n'est en soi pas nécessairement une si mauvaise nouvelle que ça puisque cela veut dire que c'est avant tout et même en dernier lieu au langage lui-même que le sujet a affaire :


« Ce qui se passe, ce sont des mots » — Samuel Beckett


Ainsi le langage n'est pas que cette imposition du sens qui a la prétention d'être LE sens de la vie mais est aussi sa propre subversion notamment à travers l'art, la musique, la poésie, la psychanalyse, l'humour, l'amour .... Tels auront été le destin et la récolte du fruit des fameux aphorismes soixante-huitards, du « jouir sans entraves » aux autres « il est interdit d'interdire » auxquels il convient d'opposer un « il n'est pas obligatoire d'obéir ».


Le poète aura toujours le dernier mot :


« Je songe à cette armée de fuyards aux appétits de dictature que reverront peut-être au pouvoir, dans cet oublieux pays, ceux qui survivront à ce temps d'algèbre damnée » — René Char

bottom of page