- Rudy Goubet Bodart
- Jun 6, 2018
Deux personnes, A et B, et un paquet de cartes situé à proximité de A, mais hors de portée de B, qui en vient donc à dire à A :
" Auriez-vous l’amabilité, mon cher A, de me passer la carte du dessus ? "
Très obligeamment, A prend la carte du dessus et la tend à B, qui rétorque en désignant le paquet :
"Non, je voulais celle du dessus, là ..."
En fronçant les sourcils, A prend la nouvelle carte du dessus, la tend à B, qui répond exactement de la même façon.
A sourit alors - il vient de comprendre qu'il s'agissait d'un piège - et tend victorieusement le paquet de cartes à B, qui lui dit alors :
" Mais je ne vous ai pas demandé le paquet, cher ami.Seulement la carte-du-dessus. "
Ce à quoi A, au bord de l'irritation, réplique :
" Mais prenez-la donc, elle est là, sur le dessus ! "
Et B, au bord du désespoir :
" Décidément, vous ne comprenez rien à rien ! Il m'importe peu, en vérité, d'avoir cette carte là. Mais j'aimerais par dessus tout que vous me la donniez, qu'enfin je la reçoive de vous. "
L'Amour, disait Lacan, c'est vouloir donner ce que l'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas.
- Rudy Goubet Bodart
- Apr 13, 2018
Il y a une surprenante et agréable analogie entre ce que George Orwell appelait l'esprit gramophone et ce que Jacques Lacan, qui prenait la science fiction au sérieux, désignait comme le discours courant - qu'il pouvait à l'occasion écrire "disque ourscourant".
Pour George Orwell, il suffisait alors qu'un mot ou deux soient évoqués pour qu'automatiquement se mettent en marche, pour certains journalistes (pour ne pas dire la plupart), l'entonnement et la reprise des sempiternels refrains quotidiens (comme un gramophone donc) tout droit empruntés à l'Opinion. Ainsi, ils se font les marionnettes de la Doxa, sans même s'en rendre compte.
Pour Lacan, fin lecteur d'Hegel, cette logique est celle de l'autonomie de la chaîne signifiante, dont il donnera l'aboutissement ultime sous la forme de la théorie des quatre (+1) discours.
Ce n'est pas le sujet qui tient un discours, mais bel et bien le discours qui tient le sujet ; le sujet est tenu par un discours, il en est un effet. Cela est une autre façon de dire que nous sommes davantage parlés que nous ne parlons.
Freud ne l'avait-il pas déjà lui-même souligné avec le concept de répétition ? Il ne s'agit pas ici de la répétition, dans le sens de reproduction d'un "schéma parental" ou d'un "pattern comportemental" (ou autres psychologisations de la psychanalyse) mais bien et bel de celle d'un scénario dont le sujet se fait le pantin, le récitant d'un texte qu'il ignore par cœur, le parolier d'un script inconnu. Voilà ce que le sujet répète, comme on dit qu'un perroquet répète. Le sujet est pris dans la chaîne signifiante ; il est parlé. Là où ça parle, ça jouit, et ça ne sait rien.
D'ailleurs le mot "wierderholung" met bien l'accent sur la répétition liée à la parole, comme un professeur d'allemand demande aux élèves de répéter après lui. Freud avait d'autres verbes que "wierderholen" à sa disposition dans la langue allemande, comme "repetieren" ou "reproduzieren" notamment. La répétition, devrait aussi être entendue comme celle d'un orchestre ou d'un groupe de comédiens qui répéteraient avant la première représentation devant public. Pour le sujet pris dans la "wierderholungzwang" (compulsion de répétition), c'est comme s'il répétait sans cesse un texte (Automaton) sans jamais vouloir être présent, en étant toujours absent, en ratant perpétuellement la représentation (Tuchê). Comme une éternelle mise en scène d'une grande première qui n'aura jamais lieu.
S'il est bien une méthode permettant de se sortir de la Doxa, de l'Opinion, de l’Idéologie ou encore du Discours Courant, c'est la psychanalyse en tant qu'elle est l'héritière de la Dialectique.
Mais qu'est-ce que la Dialectique si ce n'est la suspicion méthodique quant aux mots, aux sophismes, au vocabulaire ... du Discours Courant ?
Plutôt que de s'attarder sur ce que devrait être les choses que désigne le Discours Courant, la Dialectique est une invitation à se confronter sérieusement à la façon particulière dont la langue nous affecte. Il s'agit alors d'un travail par et sur la parole, qui nous traverse, nous parasite.
La Dialectique repose donc sur le principe que le sujet ne sait littéralement pas ce qu'il dit, pour la simple et bonne raison qu'il est dit plus qu'il ne dit.
Ainsi la fameuse formule hegelienne : "Ce qui est bien connu parce qu'il est bien connu, n'est pas connu du tout", nous apparaît dès lors comme une première possibilité d'esquisse de l'Inconscient en opposition à l'ignorance, de laquelle procède le Discours Courant.
L'ignorance, quant à elle, n'est pas un simple manque de connaissances mais la farouche volonté de n'en rien savoir : une action puissante, un refus tenace et opiniâtre de ne pas vouloir apprendre à se lire, élevée à la dignité d'une passion ; alors que l'Inconscient est un savoir qui se dit a l'insu du sujet, et nous invite au déchiffrage, à la lecture donc.
L'on comprend alors mieux pourquoi Lacan disait que la psychanalyse est un remède contre l'ignorance.
S'imaginer être en dehors de toute idéologie en se croyant Maître du Discours, voilà le cœur de l’idéologie contemporaine, du Discours Courant.
Le sujet ne peut pas se passer d'une idéologie mais simplement en remplacer une par une autre.
- Rudy Goubet Bodart
- Apr 13, 2018
Jacques Lacan traduit la révolution mondiale de la pensée (Dialectique) inaugurée par Socrate, et toujours en cours, en inversant l'algorithme saussurien [Signifié/Signifiant] en [Signifiant/Signifié].
Cela est l'indication de la primauté du signifiant (son autonomie) sur le signifié (ou pour le dire de façon vulgaire du mot sur la chose) et donc, ce qui à notre époque est crucial, de la continuité discrète qui existe entre Dialectique et Psychanalyse.
Quel sont les effets pratiques de la Dialectique ?
Je veux changer les autres ?
Changer le monde peut-être ?
Faire la révolution aussi ... pourquoi pas ?
Aujourd'hui rien n'est impossible, n'est-ce pas ?
Il me faut alors commencer par savoir ce que j'appelle "les autres", ce que je nomme "le monde", débuter la seule révolution qui vaille : la mienne (en soi et pour soi).
Pour rectifier mon rapport au Réel (et non pas m'adapter à la réalité).
Ou comme le disait Gandhi :"Sois le changement que tu souhaites voir dans le monde"**
En effet, avant même d'être en prise avec les choses, je suis d'abord et surtout en prise avec les mots.
Quoi qu'il arrive donc, je ne pourrais jamais m'extraire de mon temps, j'y suis toujours intégralement plongé. Je ne peux pas être plus que lui.
Ce que je peux faire est de m'efforcer, coûte que coûte, d'atteindre et de me tenir de toutes mes forces à sa limite, qui est aussi la mienne, en le pensant, en me réconciliant alors avec ma propre aliénation (qui avant d'être économico-historique est surtout langagière), puisque la liberté est l'intellection de la nécessité.
Pour inverser la proposition de Karl Marx, on pourrait dire :"Depuis plus de deux siècles, la philosophie n'a fait que changer le monde. Il est grand temps désormais qu'elle le pense."
Les invitations aussi forcées qu'urgentes au changement, à l'action, sont autant de séductions qui empêchent de penser, soit de comprendre et donc de changer quoi que ce soit.
Le véritable courage ne situe pas dans les menus espoirs de changements, de réformes, de
solutions déjà toutes prêtes qui ne demanderaient qu'à être appliquées.
Les promesses n'engagent que ceux qui y croient.
Toute "solution" ne ferait qu'alimenter le paradigme, le monde, le discours qui lui a donné naissance.
La premier pas devrait être un pas de côté ou en retrait afin d'amorcer une coupure authentique. Soit une refus d'alimenter l'idéologie qui nous fournit les espoirs de changement, qui ne sont en réalité qu'une façon de la faire subsister.
Le véritable courage est alors celui qui m'opère de l'espoir, qui me dés-espère.
Puisqu'il est impossible de résoudre un problème en se servant de la logique qui l'a produit.
Avant de me précipiter vers les solutions, il me faut apprendre l'Art de poser les questions.
** A ce titre, Gandhi était certainement beaucoup plus proche du Discours Psychanalytique que tous ces pantins illettrés du Discours Courant qui prétendent aujourd'hui le représenter officiellement.
Ils s'autorisent à nous conseiller, pour notre Bien, de voter untel ou untel, de nous indiquer, parce qu'ils font École, la façon de penser. Ils sévissent sans cesse dans les médias pour y trahir à fond et sans vergogne aucune La Lettre de la Psychanalyse, l'Esprit de la Dialectique.

